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Il y a plusieurs façons de lire les résultats de ce premier tour de l’élection présidentielle en Turquie : c’est à la fois un échec et un succès pour Recep Tayyip Erdoğan. Un échec, car pour la première fois il ne gagne pas l’élection présidentielle au premier tour et devra donc passer par un second tour qui s’annonce serré. Mais c’est aussi, malgré tout, un succès, qui conforte sa place d’homme fort de la Turquie. Atteindre 49,51% des voix au premier tour, après vingt ans de mandat, est un tour de force qu’aucun homme politique européen n’a réussi à obtenir.
Des fraudes sont invoquées, celles-ci n’ont, pour l’instant, pas été prouvées. Les partis d’opposition avaient placé des observateurs dans les bureaux sensibles pour garantir la bonne marche de l’élection. Ce dont témoigne ce résultat, et ce que les observateurs européens n’ont pas voulu voir, c’est la très grande popularité d’Erdoğan, même après deux décennies à la tête de la Turquie. Si certains Turcs le détestent, il se trouve encore une majorité pour penser qu’il est l’homme adéquat pour diriger le pays.
Sa plus dure campagne
Cette campagne présidentielle est la plus difficile qu’il ait eu à affronter. Le tremblement de terre de février dernier, qui a fait plus de 45 000 morts, a révélé l’état de corruption d’une partie du personnel de l’AKP avec des entreprises du BTP. Il a montré aussi l’état de vétusté des villes turques et la défaillance des services de soin. Alors que le pays est régulièrement soumis à ce genre d’événement, les bâtiments ne répondent pas aux normes antisismiques. C’est d’ailleurs l’un des enjeux de la reconstruction que de s’appuyer sur les normes les plus récentes. À cela s’ajoute une économie à la peine : le chômage atteint près de 20% de la population, la monnaie a dévissé, l’inflation est en hausse constante.
Pour la première fois, l’opposition était unie et a pu présenter un candidat crédible. À quoi s’est ajoutée une grosse fatigue d’Erdoğan, qui a dû suspendre sa campagne durant quelques jours afin de se reposer. En dépit de cela, et alors que tous les indicateurs étaient au rouge pour lui, il a manqué de peu l’élection dès le premier tour. Preuve de sa très grande popularité dans le pays. Aux élections législatives qui se tenaient au même moment, son parti a obtenu 322 sièges sur 600, s’octroyant la majorité absolue.
Géographie d’un vote
Si Istanbul a davantage voté pour le candidat de l’opposition, Erdoğan y a malgré tout réalisé de bons scores, notamment dans les faubourgs. Les Kurdes, pourtant marginalisés par le pouvoir, ont en grande partie voté pour lui, tout comme les populations des régions touchées par le séisme. Preuve qu’elles n’en font pas la même lecture que les commentateurs européens. La jeunesse turque a elle aussi largement plébiscité le Président candidat. Sa politique étrangère, sa stabilité dans une région touchée par la dépression, sa vision nationale séduit toujours une population jeune qui adhère au discours islamiste et nationaliste.
La Turquie est frontalière de la Syrie et de l’Irak, deux pays qui ne se sont pas relevés des années 2000-2010. La population turque sait gré à Erdoğan d’avoir redressé le pays après le chaos des années 1990 et de lui avoir évité de sombrer, comme ses voisins. Dans le choix du vote, cela a plus pesé que des problèmes économiques certes réels, mais conjoncturels.
Les Turcs de la diaspora ont, eux aussi, voté majoritairement pour le président sortant. En Belgique, note la RTBF, il a obtenu 72% des voix, 69% aux Pays-Bas, 65% en Allemagne et en France. Compte tenu du poids démographique de cette diaspora, c’est un soutien important.
Ce que révèle l’élection pour l’Europe
Cette élection dit beaucoup d’Erdoğan en Turquie, mais aussi de la vision de la Turquie en Europe. Avant le premier tour, beaucoup de commentateurs présentaient la victoire du candidat de l’opposition, Kemal Kiliçdaroglu, comme une certitude, s’appuyant en cela sur des sondages, et aussi sur des rêves. Le résultat final montre l’aveuglement de beaucoup sur la réalité de la Turquie et d’une partie du monde musulman. Puisqu’Erdoğan est musulman et nationaliste, il est entendu qu’il ne peut pas gagner puisque ce discours est vu par beaucoup en Europe comme dépassé.
Cela rappelle le Brexit et l’élection de Donald Trump. Beaucoup de commentateurs occidentaux ne comprennent pas que des électeurs puissent penser différemment d’eux et avoir d’autres priorités électorales. Ni que ce vote puisse être libre, assumé et conscient et qu’il ne doive rien à des "populistes" ou à des hackers russes qui auraient manipulé les élections.
En Turquie, beaucoup de femmes ont voté pour Erdoğan, dont la femme est elle-même voilée. Elles adhèrent et elles revendiquent le soutien à un candidat dont l’idéologie politique est islamiste et nationaliste. Et parmi ces électrices, beaucoup vivent dans les pays d’Europe. Parce que ce courant politique apparaît à beaucoup d’Occidentaux comme mauvais, il est impensable que des femmes et des jeunes puissent y adhérer, ces catégories étant jugées par nature progressistes. C’est tout l’inverse, la jeunesse turque ayant, y compris en Europe, soutenu massivement la ligne islamiste et nationaliste d’Erdoğan.
Il reste à voir ce que donnera le second tour. Mais d’ores et déjà, le premier a manifesté, une fois de plus, l’aveuglement d’une partie des élites européennes sur les pays non occidentaux et cette incapacité de comprendre que l’universalisme européen est terminé. En votant pour Erdoğan, les Turcs ont réaffirmé qu’ils veulent se moderniser, mais qu’ils ne veulent pas s’occidentaliser.