L’Ascension marque une étape importante dans la vie des Apôtres du Christ, l’heure où "une nuée vient le soustraire à leurs yeux" (Ac 1, 9). L’Église naissante va alors découvrir qu’elle n’est ni abandonnée, ni livrée à elle-même. Abandonnée, elle ne l’est pas, car une nouvelle présence du Seigneur, au cœur de son apparente absence, va être expérimentée, avec la venue de l’Esprit Saint, le Consolateur. Livrée à elle-même, elle ne l’est pas davantage, car sa mission ne fait que commencer. Il ne s’agit pas en effet de rester "là, à regarder le ciel" (Ac 1, 11) mais au contraire d’aller et, de toute les nations, faire des disciples (Mt 28, 19). Cet envoi en mission est accompagné d’une promesse, qui est tout le contraire d’une absence : "Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde" (Mt 28, 20).
La présence au cœur de l’absence
Il existe dans la vie de l’Église des premiers temps, un homme qui a voulu vivre tout particulièrement ce mystère de la présence au cœur de l’absence, cet homme, c’est saint Paul. Il a fait lui-même l’expérience de la présence de Jésus alors qu’il le croyait absent, quand il lui est apparu sur le chemin de Damas. Paul a créé le moyen d’être présent même dans son absence : ses lettres apostoliques.
Aux Corinthiens, saint Paul écrit : "Eh bien moi, je suis absent de corps, mais présent d’esprit" (1Co 5, 3) et il poursuit, "j’ai déjà jugé comme si j’étais présent, celui qui a perpétré une telle action". (Il s’agit alors d’un cas grave d’inconduite où quelqu’un vit avec la femme de son père.) La lettre est le moyen choisi par saint Paul pour se rendre présent aux communautés, malgré son absence.
Nous lisons dans la liturgie de l’Ascension un extrait de la lettre de saint Paul aux Éphésiens, qui fait entendre la voix de Paul jusqu’à nous aujourd’hui. Certains historiens pensent que la lettre aux Éphésiens nous vient, non pas de Paul directement, mais de ses disciples. Elle a cependant été reçue par l’Église ancienne comme témoignage authentique de la pensée et de la vie de Paul. Elle est pour nous aujourd’hui le moyen d’accueillir le témoignage de l’Apôtre et sa présence "en esprit", malgré son absence "de corps".
La lettre aux Éphésiens déploie tout le mystère de la relation entre le Christ et son Église : "L’Église, c’est l’accomplissement total du Christ, lui que Dieu comble totalement de sa plénitude", avons-nous entendu (Ep 1, 23). L’Église n’est pas seulement telle ou telle communauté locale, que Paul a fondée durant son ministère. Elle désigne l’ensemble des croyants répandus à travers le monde, attirés par le Christ, que Dieu, en ce jour de l’Ascension, a placé "plus haut que tout" (Ep 1, 22), pour attirer tout à lui (Jn 12, 32).
L’action de grâce plus forte que les épreuves
Saint Paul, dans la lettre aux Éphésiens, nous donne un enseignement utile. Il est pourtant "prisonnier du Christ" (Ep 3, 1). Mais dans ses épreuves, il est dans une grande joie et surtout une immense action de grâce. Il écrit à la communauté d’Ephèse :
"Ayant appris votre foi dans le Seigneur Jésus et votre charité à l’égard de tous les fidèles, je ne cesse de rendre grâce à votre sujet et de faire mémoire de vous dans mes prières" (Ep 1, 15-16).
Tel est Paul ! L’action de grâce est plus forte que ses épreuves ! Parce qu’il sait contempler l’œuvre de Dieu, Dieu à l’œuvre dans son Église, dans la communauté à qui il écrit. Paul prie pour que la communauté elle-même sache voir les merveilles de Dieu et entrer à son tour dans l’action de grâce : "Que Dieu vous donne un esprit de sagesse qui vous le révèle et vous le fasse vraiment connaître. Qu’il ouvre à sa lumière les yeux de votre cœur, pour que vous sachiez quelle espérance vous ouvre son appel" (Ep 17-18).
Nous nous comportons parfois comme des enfants gâtés qui restent fixés sur ce qu’ils n’ont pas encore, sur le plus qu’ils voudraient encore avoir, sur les malheurs du temps, les péchés des membres de l’Église, les difficultés de l’annonce de la foi, et nous ne savons pas nous réjouir et rendre grâce pour tout ce que Dieu nous donne !
Nous pouvons faire nôtre cette prière de saint Paul aujourd’hui, pour l’Église, pour nos communautés, pour chacun de nous. Que nous sachions voir tout ce qui nous donne d’espérer. Nous nous comportons parfois comme des enfants gâtés qui restent fixés sur ce qu’ils n’ont pas encore, sur le plus qu’ils voudraient encore avoir, sur les malheurs du temps, les péchés des membres de l’Église, les difficultés de l’annonce de la foi, et nous ne savons pas nous réjouir et rendre grâce pour tout ce que Dieu nous donne !
Nous sommes comme les disciples embarqués avec Jésus, dans l’évangile de saint Marc, qui s’inquiètent parce qu’ils n’ont pas pris de pain. Alors Jésus leur dit : "vous ne vous rappelez pas quand j’ai rompu les cinq pains pour les cinq mille hommes, combien de paniers pleins de morceaux vous avez emportés ?... et lors des sept pains pour quatre mille homme ?" (Mc 8, 19-20). Si Jésus est avec nous, de quoi pouvons-nous manquer ?
Devenir les uns pour les autres une bénédiction
Vraiment, avec saint Paul, reconnaissons "la puissance incomparable que Dieu déploie pour nous, les croyants : c’est l’énergie, la force, la vigueur qu’il a mise en œuvre dans le Christ quand il l’a ressuscité d’entre les morts et qu’il l’a fait asseoir à sa droite dans les cieux" (Ep 1, 19-20).
En un mot, la grâce que le Christ donne à son Église, en ce jour de l’Ascension, c’est l’espérance. C’est la force qui nous donne de marcher, de nous appuyer largement sur la présence du Seigneur et sur ses dons dans notre vie de tous jours, afin de surmonter les épreuves et continuer la route. Pour certains, le fardeau est lourd, très lourd, nul ne peut le nier. Mais saint Paul rend grâce précisément pour la foi et pour la charité de la communauté d’Ephèse à l’égard de tous les fidèles. C’est bien par cette charité que nous serons proches de ceux qui portent un lourd fardeau, pour leur apporter le soutien et l’encouragement, la joie et la consolation.
Comme saint Paul le fait si souvent dans ses lettres, puissions-nous, à notre tour, bénir le Seigneur et devenir les uns pour les autres une bénédiction. Chaque soir, ne nous endormons pas sans avoir pris un temps, même bref, pour remercier le Seigneur de sa bienveillance concrète. Il n’y a pas de jour sans motif de rendre grâce. Notre Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ, est "le Père des miséricordes, le Dieu de toute consolation" (2 Co 1, 3).