Le Livre des miséricordes, connu aussi sous le nom Livre de la vie, est un ouvrage autobiographique écrit par sainte Thérèse d'Avila en 1565 à la demande de son confesseur le père García de Toledo et publié pour la première fois à Salamanque en 1588. Thérèse raconte son parcours spirituel, sa conversion ainsi que les expériences spirituelles qui ont transformé sa vie.
L’originalité de cette œuvre devenue un grand classique de la spiritualité chrétienne réside dans un genre hybride alliant souvenirs autobiographiques et guide spirituel. Les deux thèmes s’entrecroisent et se complètent : les éléments autobiographiques sont racontés afin d'engager le lecteur à considérer sa propre vie. Et à l’inverse, les leçons de doctrine spirituelle sont données en référence à l’expérience concrète décrite.
Le sujet de l’oraison est au cœur du Livre des miséricordes. Se fondant sur sa propre pratique de l’oraison mentale, elle veut vaincre les appréhensions et entraîner son lecteur toujours plus loin dans la communion avec Dieu. Car à travers la pratique de l’oraison et le dialogue avec Dieu se manifestent selon elle les miséricordes, ces effusions de grâces surnaturelles où Dieu se dévoile et offre sa présence. Pour sainte Thérèse d’Avila, l’oraison est "un commerce intime d’amitié où l’on s’entretient souvent seul à seul avec ce Dieu dont on se sait aimé".
Nous publions ici deux extraits du Livre des miséricordes paru récemment aux Éditions du Carmel, l’un sur l’enfance de Thérèse et l’autre sur le deuxième degré d’oraison, dite l'oraison de quiétude.
1Comment, dès l’enfance, Thérèse fut influencée par la vie de ses parents et celle des saints
Le premier chapitre du Livre des Miséricordes retrace l’enfance de Thérèse. Elle rend grâce pour ses parents dont elle brosse le portrait en quelques lignes. Des modèles de piété et de vertu, qui ont su transmettre l’amour du Seigneur à leurs douze enfants.
Mon père était très charitable pour les pauvres et plein de compassion pour les malades. Sa bonté pour les serviteurs était telle que l’on ne put jamais le décider à prendre des esclaves, tant il était peiné de leur sort. Une esclave d’un de ses frères, se trouvant un jour chez lui, il la traita à l’égal de ses enfants. Il éprouvait, disait-il, un chagrin extrême de ne pas la voir libre. La vérité régnait toujours dans ses paroles. On ne l’entendit jamais jurer ni médire ; il montrait une très grande austérité de mœurs.
Ma mère possédait, elle aussi, de nombreuses vertus. Elle passa toute sa vie en proie à de graves maladies. Elle était d’une grande pudeur. Malgré sa beauté, elle ne donna jamais lieu de penser qu’elle en faisait quelque cas. Lorsqu’elle mourut à trente-trois ans, elle avait déjà adopté la manière de se vêtir des personnes âgées. Elle possédait une grande douceur et un jugement excellent. Après avoir enduré beaucoup d’épreuves tout le cours de sa vie, elle mourut très chrétiennement.
Après ses parents, ce sont les saints qui ont bercé l’enfance de Thérèse. Elle raconte comment les vies des martyrs les ont poussés, elle et son frère, à former le projet d’aller évangéliser les Maures en Afrique du Nord. Leur désir ayant été contrecarré par leurs parents, ils entreprirent de vivre en ermites dans un jardin voisin…
Nous recherchions donc, mon frère et moi, quel serait le moyen de réaliser un tel plan. Nous prîmes le parti de nous rendre, en demandant l’aumône pour l’amour de Dieu, au pays des Maures, dans l’espoir que l’on y serait décapités. Le Seigneur nous donnait me semble-t-il, dans un âge si tendre, le courage d’accomplir notre dessein, si nous en trouvions le moyen. Mais nous avions nos parents, et c’est de là, à nos yeux, que venait le plus grand des obstacles. (…)
Dès que je vis l’impossibilité d’aller dans un pays où nous serions martyrisés pour Dieu, nous résolûmes de mener la vie d’ermites. Nous nous appliquions à construire de notre mieux de petits ermitages dans un jardin attenant à la maison, en plaçant les unes sur les autres de petites pierres qui tombaient aussitôt. Ainsi nous ne trouvions aucun moyen de réaliser nos désirs. Maintenant encore je suis fort émue, quand je vois comment Dieu m’a donné de si bonne heure ce que j’ai perdu par ma faute.
Très tôt, suivant l’exemple maternel, Thérèse développe une grande dévotion pour la Vierge Marie. Lorsque, à l’âge de 12 ans, elle perd sa mère, c’est vers la Mère de Dieu qu’elle se tourne.
À l’époque où mourut ma mère, j’avais, je m’en souviens, près de douze ans. Comme je commençais à comprendre la perte que je venais de faire, je m’en allai, tout affligée, m’agenouiller devant une statue de Notre-Dame ; je répandis des larmes abondantes et suppliai la très sainte Vierge Marie de me tenir lieu de Mère. Il me semble que ma prière, bien que faite avec simplicité, fut accueillie favorablement, car il est bien clair que j’ai toujours trouvé un secours près de cette Vierge souveraine, chaque fois que je me suis recommandée à elle ; enfin elle m’a amenée chez elle.
2Le second degré d’oraison : l’oraison de quiétude
Grande mystique, sainte Thérèse s’efforce de partager sa méthode pour faire oraison. Elle distingue quatre degrés d’oraison, qui indiquent en réalité quatre niveaux de rapports entre l’homme et Dieu. Les quatre degrés sont exposés par l’allégorie du jardin (qui représente l’homme, ou l’âme) à arroser et cultiver avec quatre espèces d’eaux et autant de manières d’arroser. Pour recevoir l’eau vive de la contemplation, elle décrit quatre manières d’arroser le jardin de son âme : la première consiste à tirer à grand peine l’eau d’un puits, la deuxième à en tirer davantage et avec moindre peine à l'aide d'une manivelle, la troisième à amener directement l’eau d’une rivière et la quatrième à laisser la pluie faire son travail sans aucune peine.
Dans le chapitre 14, elle revient sur le second degré de l'oraison :
L’âme commence ici à se recueillir ; elle touche déjà aux choses surnaturelles ; mais elle ne peut en aucune manière y parvenir par elle-même, malgré toutes ses diligences. Il est vrai, me semble-t-il, qu’elle s’est fatiguée un certain temps à tourner la roue de la noria pour remplir les godets qui y sont fixés, je veux dire qu’elle a travaillé avec l’entendement. Mais ici, l’eau se trouve à un niveau plus élevé, et on se fatigue moins qu’en la tirant du puits. Je veux dire que l’eau est plus proche de nous, parce que la grâce se fait alors connaître à l’âme avec plus de clarté. Cela est un recueillement des puissances au-dedans de nous, pour jouir de ce contentement avec plus de saveur. Mais les puissances ne sont ni perdues, ni endormies. La volonté seule est occupée, sans savoir comment, à se rendre captive. Elle ne peut que donner son consentement, pour que Dieu l’emprisonne, assurée qu’elle est de devenir la captive de celui qu’elle aime : Ô Jésus ! Ô mon Dieu ! Comme votre amour nous est ici d’un grand secours ! Il tient le nôtre tellement enchaîné qu’il ne lui laisse pas la liberté d’aimer alors autre chose que vous !
Les deux autres puissances viennent au secours de la volonté, pour la disposer à jouir d’un si grand bien. Parfois cependant, alors même que la volonté est unie à Dieu, elle est très gênée par ces deux puissances. Mais la volonté ne doit pas s’en préoccuper. Elle doit demeurer dans sa paix et sa quiétude ; car si elle cherche à les recueillir, elle se perd avec elles. Ces deux puissances sont alors comme des colombes qui, mécontentes de la nourriture que le maître du colombier leur donne, sans aucun effort de leur part, vont en chercher ailleurs et s’en trouvent si mal qu’elles reviennent. Elles vont et viennent, dans l’espoir que la volonté leur fera part de ses délices. Si le Seigneur le trouve bon, il leur donne quelque nourriture, et elles s’arrêtent ; sinon, elles continuent encore à en chercher. Elles pensent évidemment être utiles à la volonté, mais souvent au contraire la mémoire ou l’imagination lui fait tort, en lui représentant ce dont elle jouit. La volonté doit donc se conduire alors de la manière que je vais expliquer.
Les différents degrés de l’oraison ont pour but de se rapprocher de Dieu, d'entrer en communion avec Lui. Dans l’oraison de quiétude, le Seigneur fait déjà goûter à l’âme des saveurs particulières. Thérèse souligne le fait qu’elles sont surnaturelles, consolatrices et source d’un bonheur que les plaisirs terrestres ne peuvent égaler.
Cette eau que le Seigneur donne ici contient les plus grands biens et les plus précieuses faveurs. Elle développe les vertus d’une manière incomparablement plus admirable que dans l’oraison précédente. L’âme commence à s’élever déjà au-dessus de sa misère et il lui est donné de pressentir un peu les délices de la gloire. Cette pensée, à mon avis, sert beaucoup à la faire grandir et à la rapprocher de Dieu, source vraie de toute vertu. Sa Majesté commence à se communiquer à elle, et veut même qu’elle sente ce mode de communication.
À peine arrivée à cet état, elle commence à perdre le désir des choses d’ici-bas, et cela lui coûte peu ; elle voit clairement en effet qu’elle ne saurait trouver sur la terre un seul instant de ce bonheur dont elle jouit : les richesses, le pouvoir, les honneurs, les plaisirs, ne suffisent pas à lui procurer, même l’espace d’un clin d’œil, ce contentement ; car c’est un contentement véritable et elle sent qu’il la satisfait. Il est impossible, à mon avis, de trouver tant de félicité dans les joies de la terre ; car elles ne sont jamais sans mélange. Ici, pendant le temps de cette oraison, tout est bonheur pur ; la peine ne vient qu’après, quand on voit que cette faveur a cessé, sans qu’on puisse ou qu’on sache comment la recouvrer. On aura beau se mettre en pièces à force de pénitences, de prières, et de sacrifices de toutes sortes, cela ne sert pas à grand-chose si le Seigneur ne veut pas nous l’accorder. Dieu veut alors manifester sa grandeur ; il fait comprendre à l’âme qu’il est si près d’elle qu’elle n’a plus besoin de lui envoyer des messagers, qu’elle peut lui parler directement sans même élever la voix, car elle est déjà si rapprochée qu’il la comprend au moindre mouvement des lèvres.
Découvrez, en images, le château intérieur de sainte Thérèse d'Avila :
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