La 6e session de la Convention citoyenne sur la fin de vie, qui achève la phase de "délibération", se tient à Paris du 17 au 19 février . Au cours des discussions, le projecteur a été mis sur les pays ayant légalisé l’euthanasie, comme la Belgique, les Pays-Bas ou le Canada. Auteur de "l’Impasse de l’euthanasie" (Salvator), Henri de Soos a enquêté sur ces systèmes étrangers : il montre que les pays où l’euthanasie est un droit se sont rendus incapables de maîtriser sa pratique, ne sachant plus se donner de limite objective.
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Les partisans de l’euthanasie ou du suicide assisté insistent beaucoup sur l’exemple des pays ayant légalisé cette pratique. Selon eux, les lois y sont bien appliquées, les conditions strictes et bien respectées, il n’y a pas de dérives. Il suffirait donc d’imiter ces pays prétendus modèles. Aujourd’hui, il y a une douzaine d’États concernés. Leur point commun, c’est que la réalité ne correspond pas à l’image idéale qu’ils veulent en donner. Après quelques années de pratique, en particulier en Belgique, Pays-Bas, Suisse et Canada, de sérieux glissements éthiques peuvent être mis en lumière.
1la banalisation
L’euthanasie devait rester un acte exceptionnel. Or tous les pays concernés connaissent une hausse forte et continuelle de cette pratique. Ces actes représentent près de 2% du total des décès en Suisse, 2,5% en Belgique, et jusqu’à 5% aux Pays-Bas et au Québec. 5% des décès, cela ferait en France plus de 30 000 euthanasies à réaliser par an, plus de 80 par jour !
2Le contrôle défaillant
Les euthanasies clandestines devaient disparaître grâce aux conditions strictes fixées. Or les cas non déclarés restent nombreux. En Belgique, notamment, une euthanasie sur trois ne serait toujours pas déclarée officiellement. La Commission de contrôle ne fait qu’enregistrer les déclarations que les médecins veulent bien lui faire. La Cour européenne des droits de l’homme vient d’ailleurs de condamner ce pays pour le manque d’impartialité du dispositif de contrôle.
3L’élargissement aux handicapés
Seuls les patients âgés en fin de vie étaient à l’origine visés. Aujourd’hui, des personnes de tout âge sont concernées, et pas forcément en fin de vie. Au Canada, par exemple, la première loi de 2016 exigeait que la mort soit « raisonnablement prévisible ». À peine 5 ans plus tard, une autre loi a supprimé cette condition : désormais des personnes atteintes de maladies incurables mais pas en fin de vie, y compris des personnes handicapées, peuvent demander l’euthanasie.
4L’extension aux mineurs
L’euthanasie des mineurs était impossible. Puis en Belgique, la loi de 2002 a été modifiée en 2014 pour le permettre, sans aucune condition d’âge : parmi les premiers décès, deux enfants de 9 et 11 ans ! Les Pays-Bas et le Canada débattent de cette extension.
5Le motif médical allégé
Concernant le critère de la maladie, il devait s’agir à l’origine seulement de "pathologie grave et incurable" conduisant rapidement à la mort. Exemple-type : le cancer en phase terminale. Pour répondre à d’autres demandes, on a inventé le concept de "polypathologie" avec plusieurs maladies ou situations invalidantes, chacune pas très grave en soi : perte de vue, d’audition, incontinence, etc. En Belgique et aux Pays-Bas, il est question d’élargir aussi à des personnes seulement "fatiguées de vivre", sans motif médical, par exemple à partir de 75 ans.
6La souffrance incontrôlable
Concernant les souffrances, elles doivent en Belgique être en principe "insupportables et inapaisables". En réalité, ce critère essentiel est incontrôlable. La mesure des douleurs physiques, et surtout de la souffrance psychologique, demeure éminemment subjective. La personne est seule juge de sa souffrance, aucun médecin ne peut vraiment la contester.
7L’ouverture aux maladies psychiatriques
Concernant le critère d’autonomie, la décision doit être pleinement "volontaire, consciente, libre, éclairée". Or progressivement, les pays ouvrent à des malades souffrant de dépression, de troubles neurocognitifs ou de démence. Les malades d’Alzheimer sont particulièrement visés. La solution retenue consiste à s’appuyer sur des directives anticipées. C’est déjà possible aux Pays-Bas, et des débats sont en cours en Belgique et au Canada pour permettre ce cas de figure.
8L’extension aux détenus
Les détenus en prison sont devenus éligibles, y compris en Espagne où un détenu a récemment demandé à être euthanasié avant son procès, ce qui a été fait. N’y-a-t-il pas un risque de "peine de mort auto-infligée" ?
9La confusion avec les soins palliatifs
Le dispositif d’euthanasie devait être concilié avec une forte amélioration des soins palliatifs. Or un flou croissant se développe entre le "laisser mourir" et le "faire mourir", en particulier avec les sédations terminales. L’euthanasie est partout considérée comme "l’ultime soin palliatif", entraînant une confusion dramatique sur les objectifs poursuivis.
10Les pressions sur la liberté de conscience
Enfin, il n’était pas question de porter atteinte à la liberté de conscience, pour le personnel soignant et les établissements de soins. Or les pressions juridiques et financières se multiplient, au sein des équipes médicales et aussi à l’égard des organismes réticents à organiser des euthanasies en leur sein. En Belgique, Suisse, Canada, ces institutions ne peuvent plus s’opposer à ce qu’un autre médecin vienne faire des euthanasies dans leurs locaux.
Une boîte de Pandore
Que conclure de ce panorama préoccupant ? Il prouve que les pays qui ont ouvert la boîte de Pandore de l’euthanasie sont dans l’incapacité de la maîtriser. Loin des intentions initiales affichées, et l’autodétermination étant devenue la valeur suprême, ces législations modifient peu à peu en profondeur les valeurs culturelles et les pratiques sociales. Selon l’adage bien connu, "puisque c’est légal, c’est moral". La conscience éthique des citoyens s’émousse et tolère, voire désire ces évolutions. L’interdit de tuer n’est plus une digue protectrice, en particulier pour les personnes les plus fragiles. Mais se soucie-t-on encore d’elles ?