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Tremblez journalistes, développeurs, avocats ; tremblez juristes, comptables, tremblez professeurs : ChatGPT vous enverra-t-il dans les oubliettes de l’histoire, rejoindre l’allumeur de réverbères ou la remailleuse de filets ? Si le monde, si notre vie n’était faite que de décisions à prendre, d’actions à mener, nous n’aurions qu’à nous incliner progressivement devant la puissance de calcul et d’inférence du logiciel, fut-il sorti tout droit de l’ingéniosité humaine. Mais notre vie intellectuelle ne se définit pas comme un outil de production tourné vers la compétitivité. D’ailleurs, le mélange de peur et de fascination exercé par ChatGPT, cette interface d’intelligence artificielle capable de coder une application ou de fournir une recette de cuisine, traduit en réalité une conception plutôt pauvre de l’intelligence humaine.
Notre part d’enfance
Notre vie intérieure est avant tout une réserve immense de trésors enfouis dans les tréfonds de la mémoire, de "savoirs oubliés" comme le disait la grande Jacqueline de Romilly. Par exemple, nous comprenons le sens d’une phrase grâce à l’immense chaîne de souvenirs qui nous relient à l’effort immense qu’a constitué pour nous l’apprentissage de la lecture, le déchiffrage des signes, le décodage des sons, la signification profonde des mots : cet effort de l’enfance a été oublié depuis longtemps, il est tombé dans l’oubli, mais pourtant tout ceci reprend vie en nous à chaque fois que nous lisons un texte. Ainsi, quand deux personnes dialoguent ou échangent, elles renouent avec cette part de leur enfance et la partagent.
Les conversations promises par l’IA n’auront de sens que pour les intelligences capables de les comprendre, de les juger, de les interroger, de les intégrer et de les critiquer.
Mais bien plus : tout ce que nous lisons, écoutons, toutes les informations que nous recevons, toutes les connaissances nouvelles auxquelles nous accédons viennent réveiller en nous un monde de mots, de souvenirs personnels, d’images personnelles grâce auquel nous formons notre propre culture et notre personnalité. Ainsi, dialoguer, c’est toujours rencontrer un autre monde que le sien.
Une intelligence sans esprit
Notre monde intérieur n’est donc pas un outil technique reproductible par une interface, aussi perfectionné soit-il. Et Jacqueline de Romilly, dans sa grande vieillesse, au moment où elle perdait progressivement la vue, éprouva le besoin de replonger dans les profondeurs de sa mémoire pour y goûter encore tout ce trésor des souvenirs oubliés, enchâssé dans son immense culture littéraire. Les conversations promises par l’IA n’auront de sens que pour les intelligences capables de les comprendre, de les juger, de les interroger, de les intégrer et de les critiquer. Ces conversations ne seront jamais des dialogues, car derrière l’écran, aucune mémoire perdue dans les profondeurs du temps qui passe, aucun regard embué en évoquant la prière d’Esther, ou la saveur d’une madeleine trempée dans du thé : la tirade sera juste, la recette sera exacte, mais l’émotion qui va au plus profond du cœur pour créer de la rencontre et de l'inoubliable sera toujours absente…
L'intelligence artificielle est une intelligence sans mémoire, sans corps qui a tremblé, souffert, aimé, en lisant l’Iliade, le Comte de Monte-Cristo ou Orgueils et Préjugés, sans tout ce qu’il faut pour savourer ce qu’on comprend. C’est une intelligence sans esprit. Cultivons donc le nôtre, nourrissons-le et nous trouverons toujours en nous-mêmes la joie de détenir de nombreux trésors à savourer et à partager.