Les yeux rivés vers l’Ukraine, d’autres vers Taïwan, c’est finalement du ciel américain qu’un danger a surgi. Un ballon météorologique chinois perdu à 12.000 mètres d’altitude, le territoire américain traversé, l’aviation de chasse lancée pour le détruire. Entre les deux, un emballement médiatique, des images en continu sur les chaînes d’infos et la menace d’un espionnage : pour préparer une guerre ? C’est de l’Ukraine et de Taïwan que l’on redoute l’embrasement et celui-ci va peut-être venir de ballons dans le ciel. Comme la Première Guerre mondiale, débutée par un coup de feu dans une région lointaine de l’Europe ou la guerre du Vietnam, commencée à cause d'une canonnade mineure dans le golfe du Tonkin. Beaucoup de grandes guerres ont débuté par des événements modestes.
Friction diplomatique
Nous n’en sommes pas encore là. Mais depuis début février, plusieurs ballons ont traversé le ciel des États-Unis et du Canada. Ils ont à chaque fois été abattus et, à chaque fois, Joe Biden a dû intervenir à la télévision. La Chine évoque une erreur technique. Excusable pour un ballon, moins compréhensible pour quatre. À moins que les Chinois aient vraiment un souci avec leurs appareils météorologiques. Les zones traversées par les ballons comprennent des espaces où se trouvent des satellites militaires et des zones d’essais balistiques. Mais comme ils ont couvert tout le territoire américain, il est logique qu’ils finissent par survoler une zone secret défense.
Pendant quelques jours, la fiction cinématographique a rattrapé la réalité géopolitique.
À 10.000 mètres d’altitude, quelles informations peuvent-ils capter ? À l’enquête de le déterminer. De nombreux débris ont été ramassés. Les scientifiques américains vont désormais pouvoir les étudier et les identifier ; le renseignement militaire pourra ainsi en savoir plus. Mais il faut du temps pour cela et ce temps de la recherche n’est pas celui de l’émotion publique. Les images en boucle ont donné l’impression d’une menace chinoise imminente. Les ballons en atmosphère rappellent les films de science-fiction où des bonshommes verts envahissent la Terre. Pendant quelques jours, la fiction cinématographique a rattrapé la réalité géopolitique.
Ces quatre ballons sont tous de formes différentes. Si le premier a été officiellement déclaré comme appartenant à la Chine, on ne sait rien pour l’instant des trois autres. Volant à des altitudes comprises entre 12.000 et 6.000 mètres, ils ont été estimés comme potentiellement dangereux pour l’aviation civile.
Une peur qui peut devenir paranoïaque
Conséquence de cela, Anthony Blinken, le secrétaire d’État américain, a annulé son séjour en Chine, pourtant crucial pour discuter de la guerre en Ukraine et du dossier iranien. Les tensions se sont ravivées entre les deux pays. Pékin a affirmé que des ballons américains avaient violé une dizaine de fois l’espace aérien chinois en 2022, sans donner davantage de détails. Cette guerre des ballons est à la fois dérisoire et essentielle, car elle cabre les relations entre les deux pays, qui sont déjà hautement tendues. La peur de l’espionnage ressurgit, une peur qui peut devenir paranoïaque. Et la paranoïa peut conduire à la guerre, même si les dirigeants ne le veulent pas. À force de parler d’un engrenage couru d’avance, d’un "piège de Thucydide" qui devrait inexorablement conduire à l’affrontement entre Pékin et Washington "d’ici 2025" assurent des experts américains, l’idée de l’inéluctabilité d’une guerre s’inscrit dans les esprits. Et puisque la guerre doit advenir, autant tirer le premier et la débuter quand on est à peu près certain de gagner.
La terrible mécanique belliciste se met ainsi en branle pour une guerre que personne ne veut, mais pour des tensions qui servent beaucoup de monde. Tant côté chinois qu’américain, la menace guerrière justifie les budgets militaires en hausse, les recrutements dans les services de renseignement, les entraînements, les montées en grade.
L’anecdote dramatique
Il n’y a pas un intérêt à la guerre, mais un intérêt au discours de menace de guerre, aussi bien pour la Chine que pour les États-Unis. Personne n’a envie de franchir le pas, les Chinois comme les autres, qui ne rêvent aucunement de voir Pékin ou Hong Kong vitrifié par le feu américain. Mais un discours autour de la menace, une tension autour du risque oui, d’autant que cela sert aussi le discours politique. Le drame, c’est que ce discours peut, un jour, dérailler, et conduire à un affrontement bien réel que personne n’aurait pourtant voulu.
Cette chronique des ballons montre aussi que le drame peut surgir de sujets où on ne l’attendait pas. Non pas le nucléaire, le pétrole ou la confrontation navale, mais l’espace aérien avec d’apparents simples ballons météorologiques. Mais pour des pays chauffés à blanc, cela peut tourner au tragique. Comme l’attentat de Sarajevo ou la gifle du dey d’Alger. La grande histoire débute parfois par des anecdotes tragiques.