Depuis la publication du rapport de la Ciase, des travaux sont en cours en France pour réfléchir à la mise en œuvre des recommandations de ce rapport. La Conférence des évêques de France (CEF) a institué plusieurs groupes de travail qui devront présenter bientôt leurs premiers rapports et, le 5 décembre 2022, elle a installé un tribunal pénal canonique national. En outre, la CEF et la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref) ont, chacune de leur côté, créé des instances de reconnaissance et de réparation. Au niveau de l’Église universelle, le droit pénal canonique a été révisé considérablement, de nouvelles normes sont entrées en vigueur le 8 décembre 2021. La question est maintenant de savoir si toutes ces démarches, qui touchent en bonne partie le droit canonique et son application, suffisent ou si, au contraire, les normes canoniques pourraient encore mieux prendre en compte les besoins de l’Église et de ses fidèles ?
L’information sur les droits des victimes
Force est de constater que le droit canonique universel, récemment révisé, n’est pas susceptible d’être modifié sous peu. Cependant, les dernières modifications du Code de droit canonique concernent le droit pénal substantiel, pas les procédures ou les procès pénaux. Au sujet de ces derniers, il existe encore des desiderata. Les droits des victimes avant et pendant les procès pourraient être explicités. Dans l’état actuel des choses, les victimes, après avoir fait un signalement, ne sont pas toujours tenues au courant de la suite de leur dossier. Puis, lors du procès pénal judiciaire, elles pourront introduire une action appelée contentieuse pour la réparation des dommages subis. Cependant, à part cette mention, les droits concrets de la victime n’y sont pas détaillés. Et même si plusieurs canonistes soutiennent que les victimes bénéficient des droits qui leur sont précisés dans le cadre du procès, nous avons pu constater qu’il existe souvent une grande ignorance non seulement auprès des victimes, mais parfois aussi de la part des avocats ecclésiastiques qui les assistent.
En décembre 2021, la Commission pontificale pour la protection des mineurs avait organisé un séminaire à huis clos à Rome faisant intervenir des pénalistes de plusieurs parties du monde afin d’étudier quels droits sont attribués aux victimes selon les différents régimes juridiques. On a pu constater qu’ils vont du droit à l’information et à la prise de connaissance du dossier, via l’assistance par une tierce personne, avocat ou autre, jusqu’à parfois intervenir dans le procès afin de demander un complément d’information ou de faire des observations. Il serait plus que souhaitable de préciser tous ces aspects aussi en droit canonique dans un guide tel qu’il en existe sur le site du ministère de la Justice en France. Un tel guide, s’il était consultable sur le site du Vatican, comporterait l’avantage d’apporter des informations et précisions à toutes les victimes d’abus dans l’Église partout dans le monde, créant ainsi une égalité d’information. En outre, un guide électronique pourrait être mis à jour facilement. Et si jamais le Saint-Siège ne souhaiterait pas mettre en œuvre un tel projet, rien n’empêcherait une conférence épiscopale de préparer un guide à l’intention des victimes pour son propre territoire.
Levée du secret pontifical
L’information des victimes tout au long des différentes procédures a été facilitée par la décision du pape François de ne plus appliquer le secret pontifical aux dénonciations, aux procès et aux décisions concernant les délits d’abus sexuels (Rescriptum ex audientia, 6 décembre 2019). Même si cette décision concerne tout d’abord les victimes, les personnes qui ont fait un signalement et les témoins, et même si un évêque est toujours tenu au secret d’office (de sa fonction), il ne nous semble pas impossible qu’il donne des informations, y compris à d’autres personnes que les victimes, pourvu que la bonne renommée, l’image et la sphère privée des personnes impliquées soient protégées.
Cet aspect touche aussi l’épineuse question de la publication des sanctions, apparue ces derniers mois avec une acuité particulière. D’un côté, il s’agit de l’information des évêques de la part du Saint-Siège, de l’autre, de l’information des autres fidèles par ces mêmes évêques. Il nous semble que cette question ne pourra pas être tranchée selon le seul critère de la publicité du délit ou non. Autrement dit, à délit public, sanction publique, à délit occulte, sanction occulte. Lorsque la personne ayant commis le délit est une personne publique, exerçant publiquement un ministère de l’Église, on devra certainement aussi prendre en compte le bien des autres fidèles et des communautés, qui, selon certains, sont à considérer comme des victimes secondaires, d’être informées. En même temps, il faudra aussi accompagner ces communautés afin de sauvegarder leur unité.
Libérer la parole
Un argument de plus pour une certaine publicité dans ce genre d’affaires est le fait, souvent observé, que rendre public ce genre d’informations libère la parole d’autres victimes. Cela permettra donc que d’autres victimes puissent être accompagnées, que justice soit faite d’une manière plus appropriée et qu’on obtienne une meilleure idée de l’ampleur, à savoir du nombre de victimes par agresseur.
Bref, en ce moment, nous pensons plutôt à des améliorations dans l’application des normes canoniques, aux changements d’attitudes et de mentalités, qu’à une révision du droit canonique. Les récentes modifications de ce dernier laissent peu d’espoir qu’une nouvelle révision puisse voir le jour bientôt. En outre, lorsqu’on focalise sur ce qui peut être fait au niveau local, par les conférences épiscopales, les évêques individuels ou les autres fidèles eux-mêmes, on avancera plus vite et cela pourrait restaurer la confiance des fidèles, ainsi que la crédibilité de l’Église auprès des fidèles et dans la société civile.