Je confesse que j’ai toujours eu du mal à supporter les provocations de Roselyne Bachelot. Peut-être parce qu’elle est avant tout une femme de sa génération — elle a eu vingt-deux ans en 1968 — Mme Bachelot reste une catholique qui n’en finit jamais de se faire pardonner d’être catholique, une privilégiée qui n’en finit jamais de cracher dans la soupe, une bourgeoise qui n’en finit jamais de déposer les armes de son héritage aux pieds des forces du monde. Comme ses bravades sont prévisibles ! Comme ses colères sont ordinaires !
Elle pratique la philosophie de l’entrée de gamme. Et logiquement, elle finit sa vie par où elle aurait dû la commencer : en gloussant dans les médias comme une adolescente. Narcissisme, incompétence, inélégance : à force de se courber devant les puissants du siècle, l’ancienne ministre doit avoir mal au dos. Mais je m’étais promis de ne pas manquer à la charité. J’arrête ici mes commentaires sur sa personne et j’en viens aux faits.
Notre identité
Dans un ouvrage récent, puis sur un plateau de télévision, l’ancienne ministre de la Culture vient d’expliquer que les milliers d’églises de nos commune rurales, datant souvent du XIXe siècle, n’ont pas "grand intérêt". Il faudra donc les raser. Ne rêvons pas de les restaurer, ni même de les entretenir. Trop cher. Pas assez intéressant. Pas assez moderne. Déconstruisons, démolissons, euthanasions ! Parole d’ancienne ministre qui sait de quoi elle parle ! Mme Bachelot a reçu de Guillaume Poitrinal, président de la Fondation du Patrimoine, et aussi de Stéphane Bern, les réponses qu’elle méritait. Il lui a été rappelé que notre patrimoine architectural n’est pas un jouet aux mains des technocrates de la rue de Valois : il est notre identité (mot insupportable à la génération Bachelot, sans doute).
Leur église n’est pas toujours romane, pas toujours classée, pas toujours très ancienne, pas toujours très belle, mais ils y tiennent : elle est la lettre majuscule récapitulant le village, comme a dit Proust.
Nos églises rurales, les Français les aiment profondément et mystérieusement, même quand ils se sont en apparence éloignés de la foi. Roselyne Bachelot ne les aime pas. Pour elle, la culture, ce sont les arts vivants. Le patrimoine bâti de nos communes rurales, sauf s’il est assez clinquant pour attirer les touristes, ne l’a jamais intéressée, a fortiori quand ce patrimoine est une église catholique.
Les milliers d’élus locaux du monde rural qui se battent pour sauver leur église ont reçu les propos de Roselyne Bachelot comme une gifle. Leur église n’est pas toujours romane, pas toujours classée, pas toujours très ancienne, pas toujours très belle, mais ils y tiennent : elle est la lettre majuscule récapitulant le village, comme a dit Proust.
La foules des anges
Et surtout, la présence réelle du Ressuscité l’a habitée. Le Christ y revient certains dimanches, quand nos prêtres missionnaires venus d’Afrique subsaharienne y disent la messe devant un petit nombre de fidèles. Elles sont alors remplies jusqu’à la voûte : quelques fidèles, mais en même temps une foule d’anges s’y retrouvent. Ils n’ont pas l’impression d’être dans un édifice sans intérêt. D’ailleurs la crèche où est né le Sauveur n’était pas un édifice remarquable ; elle n’était pas inscrite à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques, elle n’avait pas, elle non plus, "grand intérêt" pour les Roselyne Bachelot de l’époque.
Nos édiles qui ne vont plus à la messe continuent de voter les crédits qui permettront à leur église de passer le cap de la déchristianisation. L’État aussi les aide. Et le mécénat populaire. Voilà un mystère inaccessible à l’intelligence de Mme Bachelot. Car nous le savons : nos quarante milles églises vides, un jour viendra où les fidèles les rempliront à nouveau. D’ici là il faut les sauver.