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L’endroit, 145 rue de Créqui, dans le VIe arrondissement de Lyon, a pignon sur rue ; pourtant, rares sont ceux qui en franchissent le seuil, faute d’en connaître la raison d’être. Détruit, reconstruit, détruit une seconde fois, déplacé puis obstinément rebâti, l’édifice, placé sous la titulature de la Croix glorieuse, témoigne du drame vécu par la ville à l’automne 1793, et de la fidélité à la mémoire des victimes. L’histoire commence au printemps 1793, lorsque les trois quarts de la France, exaspérés par la politique de la Convention parisienne, se révoltent contre le pouvoir révolutionnaire. Qu’ils soient, selon les régions, réaction à la persécution religieuse, regret de la monarchie ou refus de la centralisation jacobine, ces soulèvements sont presque tous rapidement écrasés sans pitié par le gouvernement qui, grâce à des lois d’exception, envoie à la mort les opposants tombés en son pouvoir. Le comité de salut public règne par la Terreur qu’il a mise à l’ordre du jour. Deux zones, cependant, échappent à son contrôle : la Vendée et Lyon, dont le soulèvement a pris Paris de court et l’a d’autant plus effrayé que ses représentants sur place y ont été aussitôt exécutés.
Châtiment et destruction
Lyon, plaque tournante de l’économie et des échanges avec le sud de l’Europe, penche du côté du parti girondin, moins excessif que la gauche jacobine, partisan du fédéralisme, décentralisation qui favorise les libertés régionales. Voilà pourquoi l’annonce de l’arrestation des députés fédéralistes, bientôt guillotinés quand ils n’ont pas réussi à gagner la province qui leur offrira un refuge provisoire, provoque dans la population lyonnaise une colère qui tourne à l’insurrection. Une insurrection que Paris, débordé sur tous les fronts, se trouve d’abord incapable de réfréner. Lorsque les troupes chargées de ramener la ville au sein de la république arrivent enfin, Lyon est prête à soutenir un siège et s’est donnée des chefs militaires compétents, dont un ancien officier de carrière, M. de Précy, qui sera l’âme de la résistance. Le siège se prolonge jusqu’au 12 octobre 1793, quand la capitale des Gaules, écrasée sous les tirs d’artillerie, à bout de ressources, ne recevant pas les secours espérés du Forez, de l’Auvergne et du Vivarais, finit par succomber.
La suite, orchestrée par les députés Fouché et Collot d’Herbois, sera épouvantable, comme partout où l’ordre révolutionnaire reprend ses droits. À la Convention, Saint-Just appelle, non seulement au châtiment implacable des insurgés mais aussi à la destruction de la ville qui doit être rasée jusqu’aux fondations puis rebaptisée "Ville affranchie". À l’entrée, l’on inscrit : "Lyon s’est insurgée contre la République. Lyon n’est plus." Tout un programme… On s’empresse de le mettre en œuvre en démolissant quelques-uns des plus beaux monuments et les hôtels particuliers de la place Bellecour. Par chance, les ouvriers ne font pas preuve d’un zèle excessif, ce qui sauvera l’essentiel du patrimoine local. Si les pierres seront finalement épargnées, les humains sont moins heureux…
Massacre dans la plaine des Brotteaux
Sitôt les citoyens représentants en mission de la Convention sur place, la chasse à l’homme commence. Elle cible les authentiques insurgés, ceux qui ont osé prendre les armes contre le pouvoir, mais aussi tous ceux qui, en les laissant faire, les ont soutenus et encouragés, et cela fait beaucoup de monde. Les arrestations se multiplient qui frappent pêle-mêle canuts et soyeux, riches et pauvres, s’acharnent sur les prêtres réfractaires, sortis de la clandestinité pendant le siège pour rouvrir les églises et reprendre leur ministère, et sur leurs fidèles. Certains "suspects", comme les nomme la terminologie révolutionnaire, réussissent à passer entre les mailles du filet et quitter la ville, tels les parents de Pauline Jaricot. Tous n’ont pas cette chance. Entre la mi-octobre et le début décembre, ils sont au moins deux mille à payer de leur vie leur opposition à la Convention.
Beaucoup de suppliciés ne sont pas tués sur le coup et il faut les achever au sabre et à la baïonnette, sous prétexte d’épargner la poudre ou les faire piétiner par les chevaux.
La guillotine, installée place des Terreaux, ne suffisant pas à les tuer tous à un rythme satisfaisant, Fouché incite à recourir à des méthodes plus expéditives et fait procéder à des fusillades de masse dans ce qui est alors un faubourg, la plaine marécageuse des Brotteaux. Là encore, cela ne va pas assez vite et, l’on remplace les fusils par des canons qui pulvérisent des chapelets humains placés à leurs bouches. Ainsi périssent le 3 décembre 1793, près de la grange de la Part-Dieu, 209 malheureux. Beaucoup de suppliciés ne sont pas tués sur le coup et il faut les achever au sabre et à la baïonnette, sous prétexte d’épargner la poudre ou les faire piétiner par les chevaux. Ceux qui respirent encore sont enterrés vivants dans des fosses communes inondées de chaux vive. L’exemple de Lyon doit inspirer à jamais un effroi salutaire à quiconque voudrait l’imiter.
Les dépouilles des victimes sont exhumées
À huit mois de là, Robespierre ira, à son tour, "cracher dans le panier" et finira, comme ses victimes, à la fosse commune. À peine l’Incorruptible disparu et la Terreur avec lui, les familles des victimes lyonnaises entreprennent de faire élever à leur mémoire, près des lieux du supplice, un premier monument commémoratif. Comme, en dépit d’un semblant d’apaisement religieux, il n’est pas encore envisageable d’élever un monument qui rappellerait le catholicisme proscrit, c’est un cénotaphe de style classique assorti d’une pyramide dû à l’architecte Claude Cochet qui sort de terre en mai 1795. Accident ou, malgré la symbolique maçonnique de la pyramide, l’initiative déplaît-elle ? L’édifice disparaît dès janvier 1796 dans un incendie. Nul, dans l’immédiat, ne tente de le reconstruire. Il faut attendre 1814 et la Restauration, pour que les familles confient la reconstruction à Cochet, qui, s’il voit plus grand que la première fois, s’en tient cependant à ses plans d’origine. Unique différence, il s’agit bien désormais d’une chapelle voulue pour réparer les crimes révolutionnaires et prier pour les défunts.
Le comte de Précy, qui a réussi en octobre 1793, avec d’autres insurgés, à quitter Lyon, demande à y être enterré, pour reposer près de ses compagnons d’armes. Décédé en 1821, il y est inhumé. Seul car, à cette date, l’on n’a pas encore entrepris de rechercher les dépouilles des victimes et les exhumer. Ce sera chose faite en 1823 où les campagnes de fouilles permettent de récupérer les ossements, que la chaux vive a conservés en parfait état, et de les transférer dans la crypte où, dans une mise en scène qui peut aujourd’hui sembler macabre, les crânes et autres os sont exposés à la vue de tous, rappel de la brièveté de l’existence, et servent à bâtir et orner l’autel. Les capucins desservent cette chapelle parfois qualifiée d’expiatoire qui prend le nom de la Croix glorieuse.
Démolie et reconstruite à nouveau
Ce deuxième monument n’aura pas un sort plus heureux que son prédécesseur. À la fin du XIXe siècle, l’urbanisation gagne la Part-Dieu et les Brotteaux. Situé dans ce qui est devenue la rue de Créqui, l’édifice dérange. Un peu les projets d’urbanisme de la municipalité, beaucoup ses opinions politiques… À la veille du centenaire de la Révolution, la IIIe République aimerait effacer toutes traces des exactions de la Convention. C’est le moment où les politiciens lyonnais anticléricaux refusent de monter à Fourvière pour le vœu des échevins, abattent, sous prétexte qu’elles gênent la circulation, les croix de carrefours et tentent de faire disparaître un maximum de sites liés au riche passé chrétien de Lyon. Démolir la Croix glorieuse est à leurs yeux une priorité, et l’extension de la rue de Créqui dont le nouveau tracé passe, comme par hasard, au beau milieu de la chapelle, un heureux prétexte.
Des plaques de marbre y sont apposées sur les murs, portant les noms, âge, profession des deux mille Lyonnais massacrés.
C’est compter sans les descendants des victimes du massacre et les élus de l’opposition, qui, à force de pétitions, font reculer la mairie. Certes, au nom de la modernité triomphante, la chapelle sera démolie mais reconstruite à vingt mètres de son emplacement d’origine… La municipalité doit céder dans ce but un terrain voisin appartenant aux Hospices de Lyon, non sans le réduire au maximum, de sorte que la nouvelle chapelle sera plus petite. Les travaux, confiés à l’architecte Paul Pascalon, débutent en 1893, pour le centenaire du massacre ; ils s’achèveront en 1903. De style néo-byzantin, la chapelle est parfaitement visible et identifiable, selon les vœux de ses bâtisseurs. Des plaques de marbre y sont apposées sur les murs, portant les noms, âge, profession des deux mille Lyonnais massacrés.
Leurs restes sont seuls absents puisque, mesquine, la municipalité s’oppose au transfert de l’ossuaire… Il faut attendre l’arrivée à la mairie d’Édouard Herriot pour que les dépouilles soient transportées dans la nouvelle chapelle. La crypte n’est pas moins impressionnante que sa devancière, l’effet produit par cette exposition de restes humains qui portent encore la trace des blessures mortelles, garanti. Les capucins ont cédé la place à la Famille missionnaire de Notre-Dame qui poursuit leur rôle de prière et de gardiens de la mémoire. L’accès est libre.