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Bobin au “ciel qui est en toi”

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Aurimages via AFP

Michel Cool - publié le 26/11/22

Le singulier écrivain et poète Christian Bobin est mort ce vendredi 25 novembre à l'âge de 71 ans. Toute son œuvre n'aura cessé d'être une invitation à entrer de nouveau dans la clairière de notre futaie intérieure pour regarder le monde avec la lumière du ciel.

Christian Bobin est mort. L’homme reclus dans sa maison dans la forêt, avec un cœur et un esprit ouverts sur l’intériorité des êtres, sur l’incarnation de la lumière dans les recoins et les abîmes du présent, sur l’invisible qui s’écrit avec les larmes et les sourires les plus quelconques de notre humanité, a rejoint son cher “Très-Bas”, tout là-haut ; c’est-à-dire, dans le ciel qui se trouve au plus profond de chacune et de chacun; car, comme disait Angelus Silesius, poète mystique allemand du XVIIe siècle, “le ciel est en toi”.

Toute l’œuvre de Bobin est une invitation à entrer de nouveau dans la clairière de notre futaie intérieure pour regarder le monde avec la lumière du ciel; et y retrouver la force, l’ardeur, la joie de le rendre plus humain, plus fraternel, plus poétique.

Il y a sûrement du Bobin dans le ciel qui est en chacune et chacun. Même chez ceux qui n’ont jamais ouvert un de ses livres…

Cette rumeur intérieure du monde est le porte-plume du poète.

C’est le beau mystère, le grand secret des poètes: ils sont capables de jeter loin leurs filets et – ô miracle de la poésie! – de pêcher d’innombrables lecteurs vivant souvent très loin des bibliothèques, des temples et des coteries littéraires. Mais ils sont tellement proches de leur âme ! Pour autant ils ne savent pas bien en parler et à qui en parler. Cette rumeur intérieure du monde est le porte-plume du poète. Le poète est son porte-voix. L’aède au long cours ressemble ainsi au coquillage archivant le chant de la mer : il capte, il enregistre le moindre soupir, le moindre battement des cœurs sans voix. Et leur donnant la sienne, il les reproduits dans sa langue, tantôt comme la houle d’une symphonie, tantôt comme la vague d’une sonate. “Un livre, écrit Christian Bobin, ce n’est pas quelqu’un qui nous parle, c’est quelqu’un qui nous entend, qui sait nous entendre.”

L’œuvre de Bobin, Magritte l’aurait peut-être illustrée par une oreille tendue vers le ciel ; celui “par-dessus le toit, si bleu, si calme” chanté par Verlaine; mais aussi le ciel si bleu en nous et que nous contemplons si peu, faute de prendre le temps de nous asseoir ou de nous agenouiller pour célébrer tant de beauté !

Sa marche au soleil suit les traces laissées sur le sable par ses glorieux frères aînés Rimbaud, Verlaine, Jammes, Char…

Robin des bois sans carquois, auteur de poésie amoureuse – comme celle de Guillevic – des feuillages, des pierres et des fleurs sauvages, Bobin est un maestro des silences transfigurés en poèmes. Bobin est une cantate pour la femme ou l’homme se découvrant riche d’un trésor enfoui dans son île, mais ne sachant pas bien l’ouvrir, le déchiffrer et le partager. Bobin est un chercheur d’or généreux, partageant sans compter les grâces glanées sur son chemin, jonché aussi d’épreuves et de chagrins. Sa marche au soleil suit les traces laissées sur le sable par ses glorieux frères aînés Rimbaud, Verlaine, Jammes, Char…

Bobin est un drôle d’oiseau du ciel; un oiseau mystique traçant un arc-en-ciel au-dessus des têtes désorientées et tourmentées de ses contemporains. Comme Merton ou Zundel, il parle de transcendance, mais à sa manière, sans en avoir l’air et surtout sans jamais vouloir en imposer l’idée, sans même lui donner de nom. Ce n’est pas par coquetterie intellectuelle. Ce n’est pas par malice. Ce n’est par stratégie éditoriale. C’est là tout simplement la marque de délicatesse de l’intelligence des humbles: ils savent qu’au fond ils ne savent pas grand-chose sur Dieu.

Un poète ne meurt jamais vraiment

Seule l’immensité du ciel les renseigne sur Lui. Alors, Il leur semble trop grand, trop profond pour être confiné dans un nom, dans un espace, dans une théologie. Seul le cœur d’enfant d’un poète marchant dans les pas de François d’Assise et s’émerveillant devant la Création, à l’orée de chacune de ses journées, peut s’avancer ainsi à l’aveugle, avec un brin d’espièglerie dans le rire et le regard, vers ce Quelqu’un dont se dévoilera un jour le visage. “Je suis attendu, confie Bobin dans “Autoportrait au radiateur”, je ne sais pas où, je ne sais pas par quoi ou par qui, mais je suis certain d’être attendu”.

Si je parle de Christian Bobin au présent, alors qu’il est passé sur l’autre rive, c’est bien à dessein. Pardon à Bécaud que j’aime, mais un poète ne meurt jamais ! Ses mots comblés de simplicité et de pureté signent sa présence et son compagnonnage indéfectibles. Les livres de Bobin nous pareront longtemps de l’angoisse et du vertige d’être seuls et abandonnés à notre sort. Bobin est pour toujours au “ciel qui est en toi”. Et ses filets jetés au loin dans l’océan de notre siècle, si anxieux et désespéré, n’ont pas achevé leurs pêches miraculeuses.

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hommageMort
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