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Nous sommes à Lima, au Pérou, au début du XVIIe siècle. Depuis quelques mois, le couvent des dominicains se débat dans des ennuis d’argent inextricables et l’un des créanciers de la maison, acharné, réclame son dû avec une telle âpreté, refusant tout report du paiement, que le prieur, en désespoir de cause et ne sachant où trouver la somme en question, se résout à vendre à l’encan quelques objets précieux de la communauté.
Or, voici qu’à l’instant où la vente va commencer, l’un des frères tertiaires accourt et crie, du plus loin qu’il le peut : "Arrêtez, mon Père, arrêtez ! Je sais bien que nous avons une dette à payer mais, grâce à Dieu, vous avez un autre moyen de l’acquitter ! Je ne suis qu’un pauvre mulâtre et j’appartiens à l’Ordre qui m’a toujours traité avec bonté alors que je lui suis, pour tout dire, inutile ! Vendez-moi donc ! Accordez-moi cette faveur, je vous en supplie et peut-être quelqu’un me fera-t-il travailler comme je le dois !"
Une naissance singulière
Étonnante demande, l’on en conviendra mais il est vrai que celui qui la formule n’est pas moins surprenant. Frère Martin de Porrès, que tout le monde, dans son dos, appelle "frère Martin de la Charité", mystique comblé de dons hors du commun, thaumaturge, capable, sans même s’en apercevoir, des miracles les plus improbables, est bien le seul à s’imaginer qu’il n’est d’aucune utilité aux fils de saint Dominique alors qu’il est, au Pérou et dans toute l’Amérique latine, certainement leur plus brillante lumière… Mais il est vrai que le jeune religieux est porteur de deux "tares" aux yeux de la société de son temps : sa couleur et sa naissance irrégulière…
Martin est venu au monde le 9 décembre 1579, de la liaison d’un noble officier espagnol, Don Juan de Porrès, et d’une esclave noire panaméenne affranchie, Anna Vélasquez. La chose n’est pas rare car, à défaut de contracter une union honorable avec une jeune fille de leur milieu, de tels partis étant rares aux colonies, ces hommes prennent des concubines de couleur, qu’ils ont parfois la bonté de libérer, telle Anna, mais qu’ils n’auraient jamais l’idée d’épouser et abandonnent sans vergogne. Martin est encore un tout petit garçon et sa sœur un bébé lorsque son père juge humiliant de se montrer avec des enfants à la peau trop foncée et aux cheveux trop crépus à son goût… Il disparaît, abandonnant sans ressource sa compagne et leur progéniture.
Déconcertants pouvoirs de guérison
Pour Martin, la blessure restera vive et le renverra à sa condition de fils d’esclave, de marchandise humaine que l’on peut vendre ou échanger à sa guise. Loin de s’en aigrir, il y puisera une humilité qui se transformera un jour en sainteté rayonnante. Il souffre de l’abandon de son père, des soucis de sa mère, de leur pauvreté, de leur condition infamante mais, au lieu de se replier sur ses propres malheurs, il se tourne vers ceux qui sont plus malheureux que lui et qu’il secourt, au désespoir de sa mère, comme s’il en avait les moyens.
Vieillards sans famille, esclaves abandonnés parce qu’ils ne peuvent plus travailler, malades, enfants des rues, infirmes, et même les animaux attirent la compassion agissante de ce gamin. Une compassion qui, certains s’en aperçoivent déjà, a parfois des résultats déconcertants et des pouvoirs de guérison… D’où les tire-t-il ? Du temps qu’il passe en prière dans toutes les églises de la ville, prosterné devant le crucifix, dans un tête-à-tête avec le Christ souffrant qui lui arrache des larmes…
Donnée par lui, une banale infusion de romarin devient un remède miracle et les plaies qu’il panse guérissent toujours…
Il a douze ans lorsque son père, pris de remords car des relations lui ont dit que, décidément, son fils n’est pas comme les autres et qu’il devrait avoir honte d’avoir abandonné un pareil enfant, daigne lui offrir deux ans d’études primaires puis l’aider à se placer comme apprenti chez un barbier chirurgien, profession dans laquelle Martin va exceller, dissimulant sous ses onguents les miracles qu’il opère. Donnée par lui, une banale infusion de romarin devient un remède miracle et les plaies qu’il panse guérissent toujours…
À travers les murs
À quinze ans, il entre comme tertiaire, car il pense que frère convers serait trop bon pour lui, chez les dominicains, devient infirmier, tâche à laquelle il se consacre nuit et jour, s’oubliant pour ses malades, dormant à peine. Très vite, les frères soignés à l’infirmerie vont faire une troublante découverte. Alors que la porte du local est fermée, il suffit, s’ils se sentent mal ou ont besoin de quelque chose, de penser à Martin pour que celui-ci soit là, à leur chevet, avec le verre d’eau ou le remède espéré.
Plus troublant encore, personne ne le voit entrer ou sortir, malgré une surveillance redoublée. Il faudra se rendre à l’évidence : frère Martin passe à travers les murs… Mieux encore, il possède un don de bilocation, la capacité de se trouver physiquement présent en deux endroits à la fois, extraordinaire. Il ne s’en vante pas, mais, parfois, la vérité lui échappe.
Un jour qu’il propose à un malade un remède inconnu au Pérou et que l’autre s’étonne, Martin s’exclame : "Ne craignez rien ! Il est très efficace ! Je l’ai vu administrer souvent à l’hôpital de Bayonne !" Or, le frère infirmier n’a jamais quitté Lima, ni mis les pieds en France. Ou ailleurs. Ce qui n’empêche pas qu’il parle en connaisseur des usages chinois, à croire qu’il a été missionnaire là-bas, que des dominicains de retour d’Alger, où ils ont visité les captifs chrétiens, reconnaîtront en lui le mystérieux religieux qui se dévoue auprès de ces malheureux, et qu’un marchand de ses amis, très malade à Mexico, verra le thaumaturge entrer dans sa chambre porteur des remèdes nécessaires…
Des mérites qui viennent de Dieu
Au vrai, pour quiconque a besoin d’aide, serait-ce un chien, une mule, un rat, frère Martin est là, secourable, efficace, laissant sur son passage les prodiges les plus déconcertants. Un jour qu’il a emmené les novices en promenade, il s’aperçoit qu’il n’a pas vu le temps passer ; dans un instant, ce sera, au couvent, l’heure du rosaire et ils sont trop loin pour ne pas le manquer. Sans se déconcerter, Martin regarde les jeunes religieux, consternés, et leur dit : "Tenez-vous par la main, prenez la mienne, venez avec moi !"
Au procès de béatification, ces garçons témoigneront, toujours abasourdis, n’avoir jamais compris comment ils s’étaient, en une fraction de seconde, retrouvés au couvent, du bon côté de la porte, déjà cadenassée… Des prodiges, miracles, merveilles, la vie de Martin en est tissée, mais c’est une autre histoire. De son vivant, il refusera d’en entendre parler, et de se voir attribuer des mérites qui viennent de Dieu et n’appartiennent qu’à Lui. Après sa mort, ce sera une autre affaire !
Les merveilles de Dieu
Martin a trépassé à Lima le 3 novembre 1639, dans les circonstances et le jour qu’il avait annoncés. En 1664, l’archevêque de Lima demande l’ouverture de la cause. Le corps de Martin est intact, saigne si on le pique ; quant aux guérisons obtenues par son intercession, elles sont légion. La procédure exige la collecte des témoignages des personnes ayant connu le serviteur de Dieu. Parmi celles-ci, le frère Juan Vasquez, quatre ans l’assistant de Martin et parti pour l’Espagne. En réponse à la requête des supérieurs, il répond aux questions posées sur la vertu et les charismes de son ami, mais avec discrétion, conformément aux exigences de Martin autrefois.
Trop de discrétion… Alors qu’il regagne le couvent, Juan s’entend héler par un religieux ; en s’approchant, il se fige, médusé. "Ne me reconnaissez-vous pas ? Pourquoi vous être montré si réservé pour parler de ma vie ? Retournez et dites tout ce que vous savez et tout ce que vous avez vu me concernant ! Tout !" Ce ne sera pourtant qu’en 1671 que frère Juan, à la suite d’une nouvelle rencontre avec Martin, qui lui reprochera de ne lui avoir pas obéi, ira "tout dire", en effet. "Il est bon de cacher les secrets du roi, mais il est meilleur de proclamer les merveilles de Dieu…"