On aurait pu croire l’époque des Don Camillo et des Peppone révolue grâce à une plus grande maturité des élus sur le fait religieux. Las, il n’en est rien et la Ville de Paris s’illustre encore dans ce domaine en voulant se servir de l’Église comme d’une variable d’ajustement à l’impéritie de ses nombreux projets. Étant curé-doyen du Marais, je regarde avec intérêt ce qui arrive à la paroisse située sur ce doyenné, Saint-Denys du Saint Sacrement, rue de Turenne, où l’équipe municipale a eu un grand dessein, encore un. Non, il ne s’agit pas de planter des arbres sur des ponts.
À l’origine il y a des entrepôts, les entrepôts Weber Métaux, survivance de l’époque où le Marais était rempli de petites usines, garages et ateliers divers. Je me rappelle, enfant, accompagner mon père dans ces petits ateliers de fonderie qui peuplaient le quartier et qui transformaient en lingots d’or fin les poussières de limaille récupérées dans les peaux des ateliers de joailliers. La plupart de ces espaces industriels, souvent vastes, ont disparu et il faut les réhabiliter pour en faire des logements, des jardins ou des espaces associatifs.
Main basse sur le terrain paroissial
Jusque-là nous sommes d’accord avec la Ville, en notant tout de même le paradoxe qui consiste à rendre invivable ce centre-ville pour les familles avec enfants, les personnes âgées et les handicapés par l’impossibilité concrète de pouvoir circuler autrement qu’à vélo tout en voulant le rendre encore plus peuplé. À moins que ces logements ne servent qu’à des célibataires entre 20 et 40 ans qui ne circulent qu’en "mobilités douces", celles-là même qui vous écrasent doucement sur les trottoirs.
Ces entrepôts sont donc rachetés à grands frais par la Ville pour construire des logements sociaux et un espace associatif. Ils font partie d’une copropriété au sein de laquelle la Ville est minoritaire : l’accès aux nouveaux logements ainsi qu’au centre associatif devrait logiquement traverser les parties communes de cette copropriété. Sans concertation préalable, sans informer la paroisse ou le diocèse de Paris, la Ville décide dès l’origine du projet que les usagers passeront par le terrain paroissial, situé entre le presbytère et l’église. Il y a bien sûr l’accès naturel, celui qui servait aux entrepôts Weber, accès carrossable suffisamment large pour laisser passer piétons, voitures, véhicules de secours mais, afin de continuer à utiliser ce passage, il faut l’accord de la copropriété, que la Ville sait qu'elle n'obtiendra sans doute pas puisqu’elle est minoritaire. Alors ils ont pensé faire simple : se servir du terrain de l’église adjacent et informer l’affectataire en temps voulu.
Les paroissiens ne l’entendent pas de cette oreille
Étonnamment, enfin informés, le curé et les paroissiens ne l’entendent pas de cette oreille. Il ne s’agit pas juste de permettre le passage des habitants des nouveaux logements construits : c’est toute la vie des nouveaux bâtiments qui traversera le terrain paroissial : habitants, invités, livreurs, participants du local associatif, entrepreneurs... En gros, au milieu de chez vous, des dizaines de personnes passent de jour comme de nuit, rendant impossible l’usage du terrain. Mais c’est aussi l’espace où les enfants se retrouvent en toute sécurité puisque l’accès à ce parvis vert est clos et l’a toujours été depuis 1735 et encore après la construction de l’église, en 1826.
Cela reviendrait à mettre un passage public au milieu d’une cour de récréation. Habitant moi-même un "passage-piéton public" censé être entretenu par la Ville de Paris, je peux vous assurer qu’il se passe plein de choses et pas forcément ce qu’on voudrait y voir ou y entendre en termes de salubrité et de sécurité. Enfin, rendre facilement accessibles une église, un presbytère et des salles paroissiales à 500 mètres du Bataclan et 300 mètres de Charlie hebdo laisse songeur sur le sérieux de la protection du culte catholique qui n’est pas le moins persécuté en France.
Nous sommes bien sûr les méchants qui ne voulons pas de logements sociaux et d’espaces verts (...) et eux, les gentils, qui créent de la diversité, des jardins et de l’inclusion.
Une association s’est constituée pour défendre ce terrain protégé par la loi de séparation des Églises et de l’État et qui sert quotidiennement au culte et aux activités paroissiales. La mairie s’agace, à coup de procès d’intention et de menaces à peine voilées concernant tous les rapports à venir entre la Ville et le diocèse de Paris si nous ne cédons pas. Nous sommes bien sûr les méchants qui ne voulons pas de logements sociaux et d’espaces verts (alors que cet espace est déjà un lieu d’accueil de tous dans un espace vert que nous voulons protéger) et eux, les gentils, qui créent de la diversité, des jardins et de l’inclusion.
De la part d’une municipalité qui a transformé cette ville qui était un lieu de circulation, de commerce et de création artistique en une vaste piste cyclable déserte et mal entretenue, le reproche est assez comique. Les commerces ferment les uns après les autres, les artisans ne veulent plus venir dans le centre, les familles — même celles qui avaient encore les moyens de vivre à Paris — quittent la capitale, lassées par les incivilités, la saleté et l’impossibilité de circuler.
Les pétitions de principe ne suffisent pas
Pendant des mois le curé a demandé une rencontre avec le maire de Paris Centre, sans réponse de sa part, il a même essayé en chanson avec tous ses paroissiens. Il est vrai que l’on voit souvent les élus et les candidats juste avant les élections, beaucoup moins après. Enfin, en septembre dernier, une délégation menée par le premier adjoint Emmanuel Grégoire et le maire de Paris Centre, accompagnés de douze personnes de la Ville (douze, pas moins !) sont venus voir sur place. Même entre eux, rien n’était clair sur l’usage de ce passage qu’ils veulent ouvrir, pour qui, comment. Bref, un projet ni fait ni à faire, ayant déjà coûté des millions d’euros à la ville de Paris, et qui menace la sécurité, l’intégrité et la liberté de culte d’une paroisse.
Au cours de ma vie de prêtre, je me suis toujours bien entendu avec les municipalités où j’ai exercé mon ministère, depuis les communistes de Fontenay-sous-Bois jusqu’aux Républicains du XVe arrondissement ; nous n’étions pas d’accord sur tout, loin de là, mais le bon sens prévalait toujours pour le bien de tous : on se prévenait, on s’informait, on se réunissait, on cherchait des solutions : bref on vivait ce grand désir du "vivre-ensemble" cher à la municipalité actuelle. Mais les pétitions de principe ne suffisent pas : encore faut-il les vivre. On peut se tromper dans la vie, c’est heureux, sed perseverare…
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