Un film récent a beaucoup fait parler de lui, Blonde, de Andrew Dominik avec Ana de Armas sur la vie de Norma Jean Baker alias Marilyn Monroe. C’est un film pour un public très (très) averti, interdit au moins de 17 ans aux États-Unis et qui a été l’objet d’une âpre négociation entre le réalisateur et la plateforme Netflix en raison de la violence de certaines scènes. Il ne s’agit pas d’un film biographique, l’œuvre étant éloignée de la vraie vie de Marilyn Monroe. En revanche, l’œuvre dépeint la descente aux enfers d’une jeune fille sensible, fragile, intelligente et cultivée, crucifiée entre la vie réelle et l’image qu’elle donne d’elle ou plutôt l’image d’elle qui est utilisée par l’industrie photographique et cinématographique de cet âge d’or hollywoodien des années cinquante et soixante.
Quand la femme est un produit
Entre maltraitances infantiles, avortements et fausses couches, viols et violences conjugales, nudité exposée, alcool et barbituriques, nous sommes loin de l’image lisse, parfaite, souriante et glamour de l’icône américaine de la beauté et du sexy. Cinq ans après #metoo, ce film montre les racines profondes et anciennes de la maltraitance et du viol dans l’industrie cinématographique. La femme est alors un produit, qui fait vendre, qui rapporte. Il est l’objet de convoitises commerciales, mais aussi de convoitises personnelles de la part d’hommes sans scrupules qui abusent de la jeunesse, de la beauté et du désir de réussir de ces jeunes femmes.
Mais avec cette distance qui existe entre le scénario et la vraie vie de Marilyn Monroe, le film utilise le ressort de ce qu’il dénonce : il se sert de Marilyn pour réaliser une œuvre fictive, une œuvre à succès, éloignée de la réalité de la vie de cette actrice. Marilyn est donc, une fois de plus, post-mortem, utilisée et réduite à être une icône du cinéma américain pour illustrer les travers de ce cinéma. La série des plans longs sur les yeux des hommes qui regardent Marilyn est un miroir du voyeurisme de celui qui regarde l’œuvre présentée. Le film joue sur les ambiguïtés et devient coupable de ses propres ambiguïtés.
La détresse de l’avortement
Une autre polémique a surgi, car le film présente des dialogues entre Marilyn et les enfants qu’elle porte et qu’elle perd, soit par fausse-couche soit par avortement. Le planning familial américain, très en faveur de l’avortement, s’est ému que le film utilise des images de synthèse de fœtus pour illustrer ces dialogues, et le Planning familial d’écrire : "C’est une honte que les créateurs de Blonde aient choisi de contribuer à la propagande anti-avortement et de stigmatiser plutôt les décisions de santé des gens." En effet, le film montre la détresse de l’avortement et de la fausse-couche, le dialogue intérieur entre une femme et l’enfant qu’elle porte et aussi l’amour qu’elle porte à son enfant à naître. En ce sens, c’est un film anti-avortement mais, pour une fois, un film illustrant une réalité autre que celle d'un amas de cellules qui ne dépend que du bon vouloir de sa mère ou d'un acte anecdotique sans conséquence sur la santé psychique de celle-ci.
Le côté pile et le côté face
Soixante ans après la mort de Marilyn, ce film pourrait être la pierre tombale d’une époque que l’on ne veut plus voir. Malheureusement, en est-on encore si éloignés ou bien n’est-ce pas pire ? Malgré #metoo, les violences sexistes demeurent et l’hypersexualisation de la femme comme un objet, dans une débauche d’image et de pornographie, est toujours présente. L’avortement n’est pas ce fameux choix libre et responsable de femmes adultes, libres de leur sexualité et de leur corps : il est contraint par des carrières professionnelles, le diktat d’homme lâches, une sexualité irresponsable et un discours mainstream qui veut en faire une banalité sans reconnaître la réalité des conséquences psychiques et physiques. Les jeunes continuent d’étaler leur vie rêvée sur Instagram ou sur Tik-Tok, pour réussir ou être simplement appréciés, pour avoir des likes ou collecter le plus de followers, à tel point que de nombreux jeunes ont désormais deux comptes : l’un public, fait de selfies souriants, de situations luxueuses et d’événements joyeux et l’autre, privé, sur lequel ils racontent leur solitude, leur détresse et leur malheur.
Lorsque quelque chose est gratuit, cela veut dire que l’utilisateur est le produit lui-même.
Deux côtés sont imposés, comme il y a soixante ans, un côté pile et un côté face, comme Marilyn à l’écran, blonde sexy et souriante, petit oiseau fragile que l’on peut capturer et qui veut être capturée et Marilyn, seule, violée, battue, morte de barbituriques, d’alcool et de névroses. Mais ce n’est plus l’industrie cinématographique et ses vieux barbons pervers qui l’imposent : ce sont les jeunes qui se l’imposent à eux-mêmes au gré des oukases de la mode et d’images immédiatement accessibles, gratuitement. Lorsque quelque chose est gratuit, cela veut dire que l’utilisateur est le produit lui-même.
Produit pour la publicité, pour la vente ou pour des combats idéologiques, la mise en scène de vies entières est l’horizon délétère de toute une génération. Les tailles squelettiques, l’arab-fishing des influenceuses ou les implants mammaires ne cesseront pas à coup de hashtags ou de faux biopics hollywoodiens : c’est une question de conversion de la convoitise. "Tout ce qu’il y a dans le monde — la convoitise de la chair, la convoitise des yeux, l’arrogance de la richesse —, tout cela ne vient pas du Père, mais du monde. Or, le monde passe, et sa convoitise avec lui. Mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure pour toujours" (1Jn 2,16). Et d’ailleurs, elle n’était pas blonde.