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Ils sont sept, un chiffre sacré, envoyés en Gaule vers 249 par le pape Fabien, sept évêques missionnaires chargés d’organiser ou réorganiser des chrétientés gauloises en pleine expansion que Rome ne veut pas laisser livrées à leurs propres lumières ou, pis encore, abandonner à l’une ou l’autre des sectes hérétiques qui pullulent alors. Ces prélats se nomment Paul, Trophime, Gatien, Denis, Saturnin, Martial, Austremoine. L’évêque Grégoire de Tours les énumère dans son Histoire des Francs, chronique indispensable à quiconque veut connaître l’histoire des Ve et VIe siècles. Proche de la reine Clotilde, retirée à Tours après son veuvage en 511, Grégoire est souvent très bien renseigné sur les potins et les dessous de la cour mérovingienne. Les historiens s’interrogent, en revanche, sur le bien-fondé de ses affirmations lorsqu’il évoque des époques plus lointaines, des gens qu’il n’a pas connus ou des événements survenus à l’étranger qu’il connaît par ouï-dire ; et puis, et c’est le pire selon nos mentalités rationalistes, Grégoire croit aux miracles ; il les collectionne, il s’en délecte : c’est bien la preuve que les gens sérieux ne peuvent lui faire confiance ! Comme nos sept évêques évangélisateurs en sèment beaucoup sur leur route, il convient, évidemment, de mettre en doute jusqu’à leur existence ou, à tout le mieux, de repousser leur présence en Gaule d’un bon demi-siècle, au moins !
Un récit vraisemblable
Pourtant, le culte de Saturnin, martyrisé à Toulouse en 251, celui de Gatien, supplicié à Tours vers la même époque, celui de Denis, premier évêque de Paris décapité sur une colline, la future Montmartre, le Mont des Martyrs, devant le temple d’une divinité solaire, sont assez anciens pour sembler légitimement fondés. D’ailleurs, des fouilles archéologiques réalisées à Limoges dans les années soixante, ont confirmé l’existence de Martial, un autre membre du groupe. De quoi accorder au moins un semblant de créance aux affirmations de Grégoire de Tours d’autant plus qu’il se montre mesuré en faisant remonter la fondation de ces églises gauloises au milieu du IIIe siècle. D’autres, par la suite, désireux de conférer à leurs diocèses plus de gloire et d’ancienneté n’hésiteront pas à en rattacher la naissance directement aux temps apostoliques, confondant allégrement, par exemple, Denis de Paris et son homonyme, Denys l’Aréopagite, le converti athénien de saint Paul, ou faisant de Martial un personnage secondaire de l’évangile.
Un prélat envoyé de Fabien et nommé Austremoine aurait bien été le premier évêque de Clermont-Ferrand en pays arverne.
Admettons donc, avec quelque vraisemblance, l’exactitude de la liste de Grégoire. En ce cas, un prélat envoyé de Fabien et nommé Austremoine aurait bien été le premier évêque de Clermont-Ferrand en pays arverne. L’on peut d’autant plus se fier aux dires de Grégoire qu’il est lui-même originaire de la région et n’en est pas peu fier car il tient à ce qui se fait de mieux dans l’aristocratie locale, comptant dans ses ancêtres l’un des martyrs de Lyon, l’avocat Vettius Epagathus, et le saint évêque clermontois Sidoine Apollinaire, un grand poète qui a courageusement défendu sa cité lors des invasions barbares au début du Ve siècle. Admettons donc et l’historicité de la liste, et l’attribution des sièges épiscopaux, et Austremoine inaugurant la liste des prélats auvergnats. Pendant des siècles, l’affirmation n’a pas posé problème et justifié que l’évangélisateur devienne le patron de la province.
Mort paisiblement
Reste que, une fois ces faits exposés, il n’y pas plus grand-chose à dire. Austremoine, qui, d’ailleurs, s’appelait en réalité Stremonius, un nom assez courant, semble-t-il, dans le Midi de la Gaule, ce qui ferait de lui un Gallo-Romain de souche et pourrait expliquer le choix de Fabien de le renvoyer prêcher à ses compatriotes, n’a guère laissé de traces tangibles de son passage et de ses actes. Arrivé avec quatre compagnons, Marius, Nectaire, Mamet et Privat, il chargera ces diacres de le seconder dans l’évangélisation de ces régions montagneuses, Privat poussant jusqu’en Gévaudan et devenant le premier évêque de Mende. Une certitude, Austremoine a échappé à la flambée de violences anti-chrétiennes de 250-251 et n’est pas mort martyr, soit que les chrétientés auvergnates aient été encore embryonnaires, soit qu’elles aient été très discrètes. La Tradition affirme qu’il serait mort paisiblement en 286, après un apostolat d’un quart de siècle et aurait été inhumé à Issoire, où il aurait rendu l’âme.
Là encore, certains historiens ont utilisé cette date de 286 pour remettre en doute l’époque de la mission d’Austremoine et la repousser de plusieurs décennies, arguant qu’il y aurait un hiatus de près de soixante-dix ans entre son épiscopat et ses premiers successeurs. En fait, cela n’a rien d’extraordinaire ; le siège de Tours, fondé par l’un des compagnons d’Austremoine, Gatien, restera tout aussi longtemps inoccupé, la catholicité locale survivant sans prêtre ni sacrements tout ce temps, les révoltes gauloises endémiques et les persécutions de la fin du IIIe et du début du IVe siècles expliquant cet apparent abandon ; Nantes a probablement connu les mêmes problèmes, et d’autres sièges épiscopaux gaulois encore.
Dans l’abbaye de Mozac
L’un des successeurs d’Austremoine fera transférer ses reliques à Volvic où la mémoire du fondateur aurait fini par sombrer dans l’oubli si, dans les années 700, d’étranges lumières, apparues autour de sa tombe et semblables à des cierges allumés, n’avaient incité à remettre le saint à l’honneur. L’un des aïeux de Charlemagne, un Pépin mal identifié, le fait alors solennellement inhumer dans l’abbaye de Mozac où il repose toujours. Cette fois, les pèlerins accourent et, comme en d’autres diocèses, afin d’attirer les foules, l’on fait de l’évêque fondateur, comme à Limoges avec Martial, un contemporain du Christ et un compagnon des apôtres, l’on va doter, assez tardivement, Austremoine d’une nouvelle généalogie de fantaisie, qui le fait naître à Emmaüs d’un rabbin du nom de Juda et d’une pieuse femme prénommée Anne.
Oublions ces embellissements et conservons la mémoire d’un missionnaire venu, au milieu des périls, porter le catholicisme en Auvergne. Cela devrait suffire à sa gloire, et à la reconnaissance des chrétientés auvergnates.