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Dès sa parution en juin 2015, Laudato si’ fut très largement… louée ! L’onde de sympathie d’un texte papal très attendu se propagea dans les milieux écologiques, au-delà des cercles chrétiens. Une des nombreuses éditions françaises était même préfacée par Nicolas Hulot. L’encyclique était saluée, certes, mais fut-elle vraiment comprise et accueillie en totalité ? On peut en douter en mesurant l’onde de choc que le renversement de l’arrêt Roe v. Wade, par la Cour suprême des États-Unis a provoqué en France, notamment chez les écologistes.
Reconnaissons que le lecteur d’un nouveau texte doctrinal a le choix entre deux stratégies : la première, confortable, consiste à ne retenir que ce qui conforte ses points de vue ou ses modes de vie. Cette lecture n’est pas inutile, mais comporte un risque : l’instrumentalisation auto-justificatrice de la doctrine. Nous mettons volontiers en exergue ce qui nous justifie. La seconde façon de lire, complémentaire, est plus décapante, mais s’avère plus féconde : chacun tentera de se nourrir de ce qui le dérange, l’ébranle, l’incite à changer d’attitude ou de comportement. La conversion écologique n’est-elle pas, pour chacun, dans la reconnaissance que "tout est lié" ?
Appel à une bioéthique globale
Conscient de cette tendance généralisée à la lecture partielle et partiale, le pape François n’hésite donc pas à mettre le nez ses lecteurs dans leurs contradictions. À ceux des Occidentaux aisés qui s’enorgueilliraient d’être résolument "provie", il lance : "Les évêques de Nouvelle-Zélande se sont demandés ce que le commandement “tu ne tueras pas” signifie quand “20% de la population mondiale consomment les ressources de telle manière qu’ils volent aux nations pauvres, et aux futures générations, ce dont elles ont besoin pour survivre”" (LS, 95). Et nous voilà — membres des nations aisées — obligés de reconnaître que nous… volons ! Et que nous avons donc beaucoup de chemin à faire pour respecter vraiment la vie. Il faut entendre l’appel à une "bioéthique globale" que prône depuis quelques années le Saint-Père. Le Pape insiste sur le droit à l’accès aux moyens primaires de subsistance des populations les plus défavorisées.
« Puisque tout est lié, la défense de la nature n’est pas compatible non plus avec la justification de l’avortement » (LS, 120)
Autre moyen pastoral efficace de nous inciter à la cohérence, le pape François s’attache, dans une même phrase, à rapprocher des termes qu’on a l’habitude de traiter séparément. Façon de récuser le tri sélectif des idées : "Quand on ne reconnaît pas, dans la réalité même, la valeur d’un pauvre, d’un embryon humain, d’une personne vivant une situation de handicap — pour prendre seulement quelques exemples — on écoutera difficilement les cris de la nature elle-même. Tout est lié." (LS, 117). L’appel est clair : il faut unir dans une seule et même préoccupation les enjeux environnementaux, sociaux, sanitaires, et bioéthiques.
Pas d’écologie sans anthropologie adéquate
Mais comment faire ce lien ? En une époque où l’humanité traverse une sévère crise d’identité, le pape François s’inscrit dans la ligne d’un constat lumineux de son prédécesseur. « La question sociale est radicalement devenue une question anthropologique » (Caritas in veritate, 75). Benoît XVI établissait ce constat avant de critiquer « la manière même, non seulement de concevoir, mais aussi de manipuler la vie, remise toujours plus entre les mains de l’homme par les biotechnologies ». Semblant transférer ces réflexions aux questions environnementales, l’auteur de Laudato si’ ose une formule sans appel : "Il n’y a pas d’écologie sans anthropologie adéquate" (LS, 118).
Il n’est pas plus juste d’exclure un être humain non-encore né aux frontières de la vie que de rejeter un étranger que la misère pousse à migrer loin de sa patrie.
L’anthropologie adéquate est celle de l’écologie humaine ; c’est également à partir des enseignements de son prédécesseur que François l’explicite : "L’écologie humaine implique aussi quelque chose de très profond : la relation de la vie de l’être humain avec la loi morale inscrite dans sa propre nature, relation nécessaire pour pouvoir créer un environnement plus digne. Benoît XVI affirmait qu’il existe une "écologie de l’homme" parce que "l’homme aussi possède une nature qu’il doit respecter et qu’il ne peut manipuler à volonté" (LS, 155). Cette nature de l’homme, c’est un corps sexué (ce que la suite du paragraphe explicite) mais c’est aussi la fameuse "loi naturelle". Loi non-écrite mais gravée dans le sanctuaire inviolable de toute conscience, elle s’impose, naturellement, à tout être humain, qu’il soit croyant ou pas. L’interdit du meurtre en fait partie. Ce principe universel est donc indissociable de l’écologie intégrale, en raison de la nature même de l’être humain, de sa dignité spécifique et inaliénable. Le mot dignité revient d’ailleurs vingt-cinq fois dans Laudato si’, toujours à propos de l’être humain.
Deux catégories de « gêneurs »
Refuser de relier les préoccupations environnementales, sociales et (bio)éthique, serait amputer l’écologie, lui faire perdre son caractère intégral, en somme la désintégrer. On dénaturerait l’écologie en expurgeant l’enseignement papal de la question sensible — et pratiquement interdite, même dans certains milieux chrétiens — de l’avortement. Laudato si’ ne peut en effet être plus explicite que ce qui suit : "Puisque tout est lié, la défense de la nature n’est pas compatible non plus avec la justification de l’avortement" (LS, 120). Passée inaperçue ou occultée, la phrase ne devrait-elle pas éclairer les débats que secouent l’Amérique et l’Europe sur ce sujet sensible, marqué par des souffrances et des incompréhensions ? Si l’on entend nombre de voix s’opposer à la posture « radicale » du pape François sur l’avortement, peu tentent de comprendre le lien entre cette posture et son souci écologique : l’accueil de la réalité. En l’occurrence, celle de la vie humaine, quand elle est déjà là, même — voire surtout — quand cet accueil est difficile.
Ainsi, dans le même esprit de cohérence pastorale que ce que nous avons relevé, le pape relie à nouveau deux questions sociales ordinairement distinctes : l’accueil de deux catégories de "gêneurs". "Un chemin éducatif pour accueillir les personnes faibles de notre entourage, qui parfois dérangent et sont inopportunes, ne semble pas praticable si l’on ne protège pas l’embryon humain, même si sa venue cause de la gêne et des difficultés : "Si la sensibilité personnelle et sociale à l’accueil d’une nouvelle vie se perd, alors d’autres formes d’accueil utiles à la vie sociale se dessèchent" (CV, 28)" (LS, 120). Tous les types d’exclusion relèvent à ses yeux d’une même logique, et il n’est pas plus juste d’exclure un être humain non-encore né aux frontières de la vie que de rejeter un étranger que la misère pousse à migrer loin de sa patrie.
Une écologie vraiment inclusive
Un texte qui a pour but de montrer que tout se tient, ne devrait pas subir de tri, d’autant que l’exigence du respect absolu de la vie humaine n’a rien d’accessoire. Si l’on considère l’humanité comme une variable d’ajustement de la problématique climatique ou de la biodiversité, la porte s’ouvre au malthusianisme et à ses modalités techniques et politiques de contention de la démographie, fermement condamnées par le pape François : "Accuser l’augmentation de la population et non le consumérisme extrême et sélectif de certains est une façon de ne pas affronter les problèmes" (LS, 50). Au contraire, si l’on reconnaît la dignité inaliénable de toute vie humaine et "l’éminente dignité des pauvres", il s’agira de miser sur l’humanité comme ressource pour relever les défis écologiques, en favorisant le bien commun de toute la famille humaine, avec une attention particulière pour ses membres les plus pauvres et les plus vulnérables.
Au terme d’un texte stimulant, publié en France en octobre 2019 (dans un recueil intitulé Notre Mère la Terre, chez Salvator), le pape François évoque sa "grande espérance", celle d’« une fraternité universelle, comme celle que nous a montré saint François d’Assise, patron de ceux qui œuvrent à l’écologie, la véritable écologie humaine, parce qu’elle a la saveur de la manière dont Dieu sauve le monde". Vivement une écologie vraiment inclusive, c’est-à-dire fraternelle pour tous, et donc protectrice des êtres humains les plus rejetés comme de ceux qui ne sont pas encore nés !