Le Lot-et-Garonne est en fête. Le tableau du "Christ en Croix" de Rembrandt a retrouvé sa place en mai 2022 dans la petite ville du Mas-D’Agenais. Placé en septembre 2016 à Bordeaux pour des raisons de sécurité, le tableau du maître, qui bénéficie désormais d’un système de surveillance performant, fait son retour dans la collégiale Saint-Vincent pour la plus grande joie des habitants.
Ce tableau de 100 x 73 cm a effectué un long voyage avant de gagner cette petite ville de 1.500 habitants il y a 200 ans. En 1804, un capitaine des armées napoléoniennes en fait l’acquisition lors d’une vente aux enchères à Dunkerque. De retour dans sa ville natale, il l’offre un an plus tard à sa paroisse sans connaître son auteur. À la séparation de l’Église et de l’État en 1906, le trésor devient la propriété de la commune. Classé Monument historique en 1918, il n’est authentifié qu’en 1959 lorsqu’une restauration du Louvre met au jour les trois initiales RHL pour Rembrandt Harmenszoon de Leyde.
Le tableau de Rembrandt ou l'âme du village
Cette œuvre est aujourd’hui attachée à l’histoire du village : "C’est une fierté pour les Massais d’avoir cette œuvre. Il est au Mas-d’Agenais depuis 200 ans. C’est l’âme du village quelque part. On ne parle pas du Mas-d’Agenais sans parler du Rembrandt", confie à Aleteia le conseiller au maire chargé des finances et du patrimoine, Arnaud Petit. Ce tableau est aussi déterminant pour la cohésion des villageois : une petite association s’est créée pour faire connaître l’œuvre et l’histoire qui la lie à la Collégiale et au village. Bien plus, le retour du tableau doit renforcer l’attractivité touristique de la petite ville de charme. Parti il y a six ans pour Bordeaux pour des raisons de sécurité, l’œuvre du maître fait son grand retour dans la collégiale Saint-Vincent du XIIe siècle. Mais cette fois, le tableau estimé à plus de 90 millions d’euros est placé sous haute sécurité : la mairie et la Drac ont investi dans un coffre blindé qui reproduit la ventilation naturelle pour une meilleure conservation.
Son regard est vide. On l’entend presque crier : « Mon Père, mon Père, pourquoi m’as-tu abandonné ? »
Une œuvre charnière
Œuvre charnière dans l’histoire de la peinture, le "Christ en Croix" de Rembrandt est en effet d’une valeur inestimable. Peint en 1631, l’artiste flamand y renouvelle les codes de la peinture selon Aude Claret, conservatrice des Monuments historiques. Loin des tableaux conventionnels illustrant la gloire d’un Jésus insensible à la souffrance, Rembrandt représente un Christ en croix agonisant et chétif. Son œuvre détonne par rapport au Christ en Croix réalisé la même année par son maître Lievens qui peint un Christ déjà vainqueur de la mort.
Son visage est déformé par la souffrance. Ses yeux sans éclat sont tournés vers le ciel, comme pour implorer Dieu. Mais, son regard est vide. On l’entend presque crier : "Mon Père, mon Père, pourquoi m’as-tu abandonné ?" Aux pieds du condamné, l’écorce du bois de la Croix est arrachée, tout comme la peau de Jésus, trouée de plaies sanguinolentes. Pourtant, ce corps livide de douleur environné de ténèbres semble rayonner d’une intense lumière. En exploitant ainsi les possibilités dramatiques du clair-obscur, Rembrandt nous fait entrer dans la souffrance d’un Christ éprouvé dans sa chair et dans son âme. Un chef-d'œuvre à découvrir dans le Lot-et-Garonne.