Déjà deux ans à Tamanrasset et sans une seule conversion parmi les touaregs qu’il affectionne tant. Le cœur de Charles se serre d’angoisse. Ce serait-il trompé en entendant l’appel du Saint-Esprit ? Pourtant il semblait si clair à l’époque, lorsque Charles prêchait encore à Béni Abbès.
La voix qui crie dans le désert
Lâchant un énième soupir, Charles abandonne sa pensée et son lever de soleil pour prendre place à son petit bureau. Il note sur une feuille les nouveaux mots tamahaq (langue touareg) qu’il a appris. Au moins son apprentissage de la langue parle à son cœur d’explorateur et il apprécie chaque nouvel élément. Il en profite pour enrichir son dictionnaire français-touareg.
Il écrit plusieurs heures avant de se rendre dans le village pour aider les touaregs dans leur quotidien. Ils confient à Charles leurs tourments. Malgré les siens, il accueille leur angoisse, les console et les aide autant qu’il le peut. Il y a à peine cinquante habitants à Tamanrasset, et seulement trois d’entre eux sont des enfants. Même parmi les autres tribus, ces Dag-Ghali sont les plus pauvres et les plus éloignés.
L’appel que Charles a entendu il y a quelques années l’a poussé à aller évangéliser ces gens si éloignés de tout. Moussa ag Amastam, l’amenokal (chef touareg), le respecte pour son grand savoir et son humilité. Mais Moussad est aussi un fervent musulman. Et s’il admire la foi de Charles, il est d’autant plus fidèle à la sienne.
Charles est donc bien seul. Maintes fois, il a demandé à ce qu’on envoie des frères. Quelques-uns ont tenté de le rejoindre, mais en ont été empêchés par la maladie ou le refus des supérieurs. Tamanrasset est si loin du monde. Et ne pas avoir pu célébrer la messe de Noël lui a déchiré le cœur.
Un pauvre sauvé par les pauvres
Soudain, une migraine aiguë monte à la tête de Charles. Il tente de se lever mais perd l’équilibre et tombe à terre. Sa vision est trouble et ses oreilles sifflent. Autour de lui, des voix inquiètes se manifestent et les gens accourent. On le transporte sous une tente. Il est fiévreux et distingue à peine ce qu’on lui dit.
Tamanrasset vit une intense période de sécheresse et de famine. Les chèvres sont mal nourries et produisent peu de lait. Mais peu importe ! On va jusqu’à quatre kilomètres à la ronde pour récolter une misérable quantité. Charles reste plusieurs semaines alité, incapable de se lever. Et durant tout ce temps, les touaregs se relaient pour prendre soin de lui avec leurs maigres moyens.
En voyant le dévouement et la générosité de ses hôtes, Charles s’émeut. Un sentiment aussi étrange que doux le fait verser des larmes. Le doute s’envole, il ne s’est pas trompé. Mais il comprend à présent qu’il doit faire des touaregs ses amis, devenir pauvres parmi les pauvres.
Son évangélisation ne se fera pas par le sermon, mais par l’exemple et la prière. Ainsi, Charles de Foucauld apprivoise son désert spirituel en imitant le Christ au milieu de ce peuple si bon. Sa vie et son œuvre si humble deviennent son témoignage.
Contrairement à sa volonté première, il ne fonde pas d’ordre et convertit peu. Mais tous ceux qui croisent sa route ne peuvent qu’admirer le marabout chrétien de Tamanrasset. Sa foi inspirante est maintenue sans faille jusqu’à sa mort en 1916 par son humanité profonde et son humilité.
Il est béatifié par le pape Benoît XVI en 2005 et sera canonisé le 15 mai 2022.