La question du discernement se pose de plus en plus dans nos sociétés. La fluidité des normes, des coutumes, des habitudes est de plus en plus importante et l’immédiateté de la décision ainsi que sa diffusion rapide grâce aux moyens contemporains de communication ne permettent plus le temps nécessaire à un discernement tranquille. Nous sommes loin de l’époque où Blaise Pascal avait le temps de rédiger et de diffuser ses Provinciales et les lecteurs le temps de les goûter et de les comprendre. Tout est quotidiennement une question de choix : les grandes étapes de la vie ne sont plus balisées par des habitudes sociales, les carrières professionnelles ne se passent plus chez un seul employeur ou dans un seul métier, la vie affective est sommée d’être changeante et jusqu’à l’accueil ou non de l’enfant qui est laissée à la libre appréciation de sa mère. Rien ne va plus de soi : certains peuvent s’en réjouir car cela convoque la liberté (ou le libre arbitre) de chacun, mais on peut aussi s’en désoler car tout devient sujet à arbitraire.
Prendre du temps
Au cours de ce temps de carême nous avons organisé une retraite ignatienne de trente jours dans l’église, tous les matins, pour les paroissiens qui le désiraient. À partir des exercices de saint Ignace, forcément adaptés pour des personnes « dans le monde », qui travaillent et mènent une vie de famille, le projet était de permettre de prendre un temps de retraite, de prière et de contemplation de la vie du Christ et de découvrir les règles du discernement ignatien. Dieu parle aux fidèles, l’Esprit révèle la volonté de Dieu à ceux qui L’écoutent, aussi bien pour des choix de vie radicaux comme le mariage, la vie religieuse ou le sacerdoce que pour des choix de vie plus quotidiens, plus ordinaires.
Nous avons plus que jamais besoin de prendre ces temps de discernement pour notre vie. Souvent nous faisons appel à notre intelligence, notre expérience, les conseils et avis que les uns ou les autres peuvent nous donner pour réfléchir à ce que nous allons faire ou dire et c’est déjà bien quand ce ne sont pas que l’instinct, l’émotion ou les appétits immédiats qui parlent. Mais comme chrétiens il nous faut plus et nous pouvons plus par la grâce que Dieu nous communique.
Les critères du discernement
Saint Ignace divise les actions humaines en trois temps : l’intention, l’action et l’opération. Pour nous, la plupart du temps, nous réfléchissons en deux temps : je réfléchis et j’agis. Ignace divise l’acte en trois : je réfléchis, je décide et ensuite j’agis. Souvent entre la décision et l’action il se passe un temps qui vient confirmer ou infirmer la décision prise. Je décide de me marier et le temps des fiançailles va être ce temps de discernement qui éprouve la décision prise. Je décide d’être prêtre et le séminaire est le temps qui éprouve cet appel. Cela est compréhensible pour les grandes décisions de vie mais nous pouvons aussi l’appliquer à des décisions plus quotidiennes. Quels vont être les critères qui permettent ce discernement ?
Ces critères de décisions et d’actions peuvent être utiles dans toutes les circonstances de notre vie : cela permet de mettre Dieu au cœur de notre existence mais aussi d’avoir le moyen de discerner librement en étant éclairé par le Seigneur lui-même.
Tout d’abord l’indifférence ignatienne : être indifférent n’est pas être « aquoiboniste » ou n’en avoir rien à faire, c’est remettre sa décision entre les mains de Dieu pour sa plus grande gloire sans qu’elle ne soit mêlée d’affections désordonnées ou d’intérêts particuliers. Il propose aussi quelques méditations pratiques : si quelqu’un venait me voir, auquel je souhaiterais le meilleur pour sa vie et son salut, et qu’il me soumettait la même question que je me pose, que lui répondrai-je ? Le conseil que l’on peut adresser à un autre est valable aussi pour soi. Mais encore : si je me retrouvais à l’article de la mort, quel choix aurais-je aimé avoir pris concernant cette décision ? Mettre notre vie en perspective pour quitter l’instant, l’immédiat, et considérer sa vie sur le long terme permet d’éviter des décisions hâtives ou circonstancielles pour nous situer dans un chemin de vie entière.
La paix intérieure
Enfin, si je me retrouvais au jour du jugement, devant Dieu notre Père, quelle décision aurais-je aimé avoir pris au regard du salut de mon âme et du bien ? Nous serons jugés par Dieu suivant notre conscience mais Dieu seul reste le juste juge de nos actions et décisions. Ces critères de décisions et d’actions peuvent être utiles dans toutes les circonstances de notre vie : cela permet de mettre Dieu au cœur de notre existence mais aussi d’avoir le moyen de discerner librement en étant éclairé par le Seigneur lui-même. La sagesse chrétienne réside aussi dans cette tension entre notre liberté, que Dieu respecte, et l’appel qu’il nous adresse chaque jour et les moyens qu’il nous donne par sa grâce, parce qu’il nous respecte.
Une fois la décision prise, avant même qu’on ne la mette en œuvre, la paix intérieure sera le critère que c’est le bon choix même si ce choix est difficile, voire douloureux. Combien de martyrs sont montés à l’échafaud ou descendus dans le cirque en étant parfaitement en paix parce qu’ils savaient qu’ils étaient fidèles et à leur conscience, et à la volonté de Dieu ? C’est cette paix intérieure que le Seigneur désire pour chacun d’entre nous : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ; ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne » (J 14, 27). Entrons dans la « manière » de Dieu.