Difficile en ce jour de ne pas parler de l’anniversaire des accords d’Évian qui scellaient la fin de sept ans de conflit violent entre la France et l’Algérie. À ma génération, chacun a des souvenirs de cette longue guerre. Pour moi c’est l’absence de mon père, colonel de cavalerie affecté au commandement d’un régiment dans le Constantinois. Restés à Paris, nous sentions dans nos petites têtes d’enfants de 3 à 8 ans, qu’il se passait des choses graves. Cris et chuchotements traversaient notre immeuble, habité par des familles d’officiers et partagé entre ceux qui avaient choisi la fidélité au général de Gaulle et à la République, non sans état d’âme, et ceux qui avaient fait le choix de suivre « le quarteron de généraux » rebelles. Mon mari, lui, se souvient d’avoir accueilli avec sa troupe scoute, des familles de pieds-noirs à la gare de Narbonne. L’image d’une femme épuisée dont la valise s’ouvre sur le quai et qui rassemble ses maigres effets en pleurant l’a marqué à jamais.
Une guerre fratricide
Quelques images, quelques impressions mais surtout un grand silence sur cette guerre fratricide qui a fait des milliers de mort et opposé les Algériens aux Français mais aussi les Français entre eux et les Algériens entre eux. Jamais mon père n’a parlé de ce qu’il avait vécu. Récemment, un des nombreux appelés du contingent, à qui on demandait comment il était rentré de ces vingt-huit mois de service militaire, répondit : « Silencieux ! » Cela en dit long sur la chape de plomb qui a recouvert cette période douloureuse de notre histoire.
Appelée longtemps « opérations de maintien de l’ordre », ou de « pacification », puis « événements d’Algérie », cette guerre terrible ne portera son nom qu’à partir de 1999. Or, « mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde « : cette phrase attribuée à Albert Camus, issu lui-même de la communauté pieds-noirs et déchiré par le drame qui se joue, dit à quel point il a souffert de cette guerre fratricide. Seul contre tous, et notamment contre les intellectuels parisiens qui se réjouissaient de la décolonisation, il a cru jusqu’au bout que sur sa terre sacrée d’Algérie, des communautés différentes pouvaient vivre la fraternité. Hélas !
Regarder l’histoire en face
Soixante ans après, le moment est venu de chercher une profonde et vraie réconciliation entre les peuples algériens et français. Cela commence par accepter de regarder l’histoire en face avec toute sa violence et sa complexité et, à cet égard, le documentaire de Benjamin Stora et Georges-Marc Benamou, diffusé sur France 2, qui donne la parole à tous les protagonistes est très instructif et brise le silence, ce silence qui pèse si lourdement sur nos présents. Ces récits et témoignages m’ont émue.
Faisons en sorte que l’idée de pardon soit une boussole pour inventer des chemins originaux et pour sortir d’un passé de mort et s’ouvrir à une vie réconciliée.
Il est temps de chercher à tourner la page de cette tension qui persiste entre Français et Algériens ou Français d’origine algérienne. Un travail de mémoire et de relecture critique de l’histoire par toutes les parties du drame est indispensable. Peut-on aller jusqu’au pardon ? Oui, si l’on veut suivre Annah Harendt selon qui « sans le pardon, nous resterions prisonniers de nos actes et de leurs conséquences ». Mais le pardon, concept religieux peut-il être une vertu politique ? Plus modestement, faisons en sorte que l’idée de pardon soit une boussole pour inventer des chemins originaux et pour sortir d’un passé de mort et s’ouvrir à une vie réconciliée.