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Cher saint Joseph,
Je viens de réaliser une chose : toute ta vie durant, tu as porté au fond de toi une question. Une question de la plus haute importance… et sans réponse. Non pas que cette inquiétude t’ait paralysé, ni même assombri le visage. Cela ne t’empêchait pas non plus de travailler, de rencontrer des personnes, de vivre. Seule Marie avait dû deviner, peut-être même partageait-elle cette angoisse ? Car au plus intime de toi, il y avait cette question : "Aurais-je fini à temps cette table pour M. Salomon ben Isaac ?" Non, je plaisante. Plus sérieusement : "Que va devenir Jésus ? Qui sera-t-il ?"
Ton mariage débute par la grossesse atypique de ta femme, puis viennent les mots d’Anne et Siméon, et votre voyage de noces prolongé en Egypte. Ta connaissance des Ecritures te fait bien comprendre ce que tu crois déjà, à savoir que ton fils sera, est le M… Non, ce n’est pas possible ! Et pourtant…
Tu ne peux imaginer un chef de guerre libérateur d’Israël. Sinon pourquoi Yahvé t’aurait-il choisi pour père, toi, charpentier ? Il aurait fallu prendre un notable, un riche, un chef militaire du palais royal. Bien que cela soit difficile. Ont-ils du cœur ces gens-là ? Bien nés, bien vus mais pas forcément bien accueillants. En même temps, aucun signe ne t’a été donné pour former Jésus au combat. Donc tu l’as formé à l’art de manier la scie et le rabot. "Mais tout de même, on ne sauve pas un peuple avec des outils de charpentier ?! Alors quoi, comment Dieu va-t-il s’y prendre ? Quel est son plan ?"
Un roi peut-être ? Certes, tu descends de David. Mais comme un millier d’hommes en Israël selon les historiens. Et puis, de manière pragmatique, ta royauté, Joseph, n’est guère reluisante. Roi charpentier… Honnêtement, Joseph, entre nous : pour l’instant ton fils est surtout le roi de sa mère. Ce qui ne le différencie en rien des autres garçons du quartier. Et l’on doit bien rire parfois de ce Joseph, de cette Marie, de ce Jésus, et de leur filiation avec David.
Et puis, vint cette question. Jésus, jeune fuyard de douze ans, qui te lance : "Ne saviez-vous pas que je dois être aux affaires de mon Père ?" Faut l’accuser celle-là ! Bien sûr, tu n’oublies pas l’origine divine de la naissance de Jésus (ce sont des choses qu’un homme en temps normal ne risque pas d’oublier, alors là !) Mais tout de même, qui l’éduque ce môme depuis douze ans ? qui s’est levé la nuit ? qui l’a relevé le jour où il a fait ses premiers pas mais s’est cassé la figure ? De qui parlait Marie, quand, deux minutes avant, elle fait remarquer à son fils que "Ton père et moi nous te cherchions" ?
Nous encore, c’est l’Evangile qui nous les rapporte. Toi, c’est ton pré ado de douze ans.
Bref, voilà le genre de petites phrases, typiquement à la Jésus, qui remettent bien les choses en ordre. Nous encore, c’est l’Evangile qui nous les rapporte, et on sait que Jésus est Dieu. Toi, c’est ton pré ado de douze ans qui te sort cela, et en public s’il vous plaît ! Bonjour l’ambiance au retour. Silencieuse. Méditative. Au passage, nous devons à Marie et toi la première méditation chrétienne de l’histoire. Et en même temps, dans ta quête du devenir de Jésus, quel indice, quel signe ! Jésus est bien sur terre pour travailler aux affaires du Père…
Ce qui a dû être sympathique, ce sont les commentaires au retour. Dans un village comme Nazareth, tout se sait, tout se dit, tout se commente (trop). "Et alors, Joseph, on perd son fils ? Heureusement que tu n’en as qu’un !", "Joseph, comment peux-tu laisser dire des choses pareilles à ton morveux ? Il se prend pour qui ?! Fais attention, s’il te plaît."
Et toi d’accueillir ces remarques avec patience et miséricorde. "Si vous saviez… Si vous saviez tout ce qu’il dira. Je le sens bien. Je le crois. Si vous saviez qui il est. Je crois le deviner. Je n’ose le deviner… mais je le sais."
Cher croyant que tu es, merci,
Joseph.