Quand le cinéma se fait politique, l’idéologie n’est jamais loin. Dénoncer plutôt que faire réfléchir est le propre des procédés des films coups de poing, comme l’est Goliath, en salles depuis ce mercredi 9 mars, et dont le titre donne déjà le ton. Ce nouveau long-métrage, ancré dans l’époque actuelle post-confinement, mêle intrigue politique, militantisme écologique et drame humain. Tout ceci pour faire écho au combat toujours actif contre l’utilisation du glyphosate, initialement produit par la firme Monsanto et racheté en 2018 par le groupe Bayer, ici remplacé par la Tétrazine. Son mérite est d’être engagé, son tort d’avoir voulu tout dire.
Le grand cinéaste américain Michael Cimino prévenait à juste titre, et par expérience, lui qui s’est emparé de nombreux sujets épineux comme la guerre du Vietnam, qu’ "un film n’est politique que par accident. L’idéologie d’un film vient toujours seconder l’histoire mais elle ne lui emboîte jamais le pas." Frédéric Tellier est tombé dans l’écueil d’inverser les priorités à ce sujet. Ce qui dessert à la fois l’histoire et l’objet qu’elle dénonce.
Les dessous des pesticides, une affaire politique
Quand le film commence par une scène d’audience, où Patrick (Gilles Lellouche), un avocat dévoué à la cause de l’environnement, prend la défense d’une victime décédée des suites d’un cancer dû au contact avec la Tétrazine, nous savons que l’histoire va être un long combat. Sa compagne Lucie, éleveuse et agricultrice, tient à lui rendre justice. Surtout à dénoncer la responsabilité du fabricant de ce poison : le géant de l’agrochimie Phytosanis. Très vite, nous faisons connaissance avec le reste des protagonistes. Le brillant lobbyiste Mathias (Pierre Niney) et son collègue Paul (Laurent Stocker), qui naviguent entre Bruxelles et Paris, aux portes du pouvoir, et oeuvrent pour Phytosanis, France (Emmanuelle Bercot) une professeur de sport le jour et ouvrière la nuit, dont le mari est tombé malade à cause de la Tétrazine, et qui milite contre les pesticides.
Alors que Patrick est confronté à la mort de Lucie, il poursuit malgré tout son combat contre le géant de l’agrochimie. Et cela malgré des menaces et une campagne de dénigrement de leur part. Il se lance dans une enquête, avec l’aide de Vanec (Jacques Perrin), afin de faire toute la lumière sur les conséquences planétaires des pesticides, des lobbys et des gouvernements, qui souhaitent "privatiser la nature". L’enquête ne va pas plus loin, puisque c’est un autre document confidentiel qui sera publié dans la presse, faisant office de bombe. Dans cette tentative de faire tomber les puissants — Goliath — les défenseurs de la vérité — David — vont parfois un peu trop loin dans les conclusions hâtives. Pour eux, tous les cultivateurs sont responsables d’empoisonner leurs voisins, par exemple. Sachant que cela reste dérisoire face aux actions sans foi ni loi de leurs adversaires, mais personne ne rêve d’une société où l’on crache à la figure des cultivateurs (scène du film). Si le cinéaste émet certaines nuances, celles-ci ne suffisent pas à édulcorer son pamphlet cinématographique contre les l’industrie de l’agrochimie.
Dispersion ou mosaïque, le film se perd
Parfois assez mal filmé, avec des scènes inutiles, le film perd en tension. Alors que tous les éléments étaient là pour maintenir un vrai suspens. Frédéric Tellier souhaite tout dire et tout montrer des méfaits dûs aux pesticides, parfois ad nauseam et sans grande efficacité. Le cynisme très bien joué par Pierre Niney convainc heureusement, notamment avec les scènes de ping-pong où l’on voit ministres et scientifiques reprendre à la télévision ses propos, dits dans le secret des réunions, grâce à son pouvoir de conviction — ou de corruption — auprès des hommes influents. Cela renforce et crédibilise la partie du film consacrée à la dénonciation du rôle des lobbys.
Mais quand le cinéaste décide d’évoquer la supposée perte de rendement agricole lors de la pandémie du covid — alors que les cultivateurs étaient justement parmi les seuls à pouvoir travailler normalement — justifiant les propos des lobbyistes pour que ces derniers puissent utiliser les pesticides pour rattraper leurs pertes, on se dit que tout est prétexte à servir son argumentaire. Peu importe s’il est faux. D’autre part, le parcours des autres personnages, s’il est crédible à cause de sa véracité, manque de toucher. Aucun d’entre eux ne parvient à émouvoir véritablement. Hors, le cinéma est aussi question d’émotion. Sinon, autant faire un documentaire, un reportage ou bien écrire un livre.
Entre une scène d’immolation par le feu, une grève de la faim et un condamné à mort, il y avait pourtant de quoi faire pour nous sensibiliser à ces tragédies. Frédéric Tellier a en tout cas eu le grand mérite de rendre compte de la réalité de la situation sur les pesticides. Même si son constat penche du côté du militantisme plutôt que du souci de l'œuvre. Son scénario et son film, s’ils étaient ambitieux, ont sans doute souffert du trop plein d’informations à y glisser. On retiendra tout de même la respectabilité de sa démarche, d’avoir osé se confronter à Goliath, les yeux dans les yeux.
La souffrance et le sacré
Une réflexion intéressante sur la souffrance peut en tout cas se dégager du film. C’est à la confrontation de celle-ci que l’on doit l’engagement de l’avocat, plus qu’au sentiment d’injustice, et à celle-ci que l’on doit des drames qui s’ajoutent aux premiers. Face à la souffrance générée par la violence du déni et de l’indifférence du géant de l’agrochimie, deux réactions émergent chez les victimes : la violence — ou la vengeance — retournée contre soi (immolation, grève de la faim), sacrificielle, et la violence contre le bourreau (le cultivateur, les lobbyistes). Ce sont d’ailleurs les femmes qui sacrifient leurs corps, pour protester contre la négligence de la vie. Ces actions étant tirées de faits réels, et donc de réactions bien humaines, le cinéaste n’a peut-être pas pris la pleine conscience de leur symbolique. Car cela n’est pas sans rappeler l’analyse de l’anthropologue René Girard. “La crise sacrificielle, c’est-à-dire la perte du sacrifice, est perte de la différence entre violence impure et violence purificatrice. Quand cette différence est perdue, il n’y a plus de purification possible et la violence impure, contagieuse, c’est-à-dire réciproque, se répand dans la communauté”, écrivait-il dans son maître ouvrage La violence et le sacré.
Or, la violence gagne les différentes parties (actions du groupe de désobéissance civile, menace de la part des lobbyistes, passage à tabac). Ou bien serait-ce la peur, dont saint François de Sales dit qu’elle “fait bien plus de mal que le mal”? Et la fin du film se termine avec le sacrifice de France qui compte mener à bien sa grève de la faim, déjà bien entamée, et prononce les derniers mots du film. Le vrai sacrifice attendu, à travers la transcendance, n’a pas lieu. Rien n’est sauvé, car sa décision ne changera sans doute rien aux événements. Sa colère, mêlée à sa souffrance bien légitime de savoir son compagnon condamné par le cancer, ne trouve pourtant refuge que dans cet acte. L’issue n’est plus le combat, et encore moins l’espérance. Cela évoque la fin de l’excellent film franco-allemand In the Fade, où la colère se solde également par un sacrifice de soi. Tandis que l’espérance ouvre à d’autres chemins, pour lesquels il faut savoir sacrifier sa peur, dépasser sa souffrance par l’amour. Reste à trouver les moyens d’y parvenir.
Pratique :