Tous les jeudis, Jean-Baptiste Noé, directeur de la revue "Conflits", décrypte l’actualité internationale. Il analyse cette semaine la tension entre la France et le Royaume-Uni autour des licences de pêche et de l’accès aux ports. Une situation délicate pour les deux gouvernements, qui rappelle que la mer est bien un espace de frontières.
Une des conséquences de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne est la fin de l’accès systématique au marché de l’Union. Ce qui est valable pour tous les produits l’est aussi pour les poissons et les coquillages pêchés en mer du Nord. La tension ne cesse de croître entre Paris et Londres au sujet des délimitations des zones de pêche, des délivrances de licence et des ventes des produits. Paris accuse Londres de ne pas avoir donné les licences promises pour que les pêcheurs français puissent poser leurs filets dans les eaux anglaises. Londres dément et assure que presque toutes les demandes ont été accordées. Mais la France a fermé l’accès à ses ports aux poissons et aux coquilles saint-jacques pêchés par les chalutiers anglais. Un chalutier a été saisi par la France fin octobre et un autre a reçu un avertissement verbal. Les pêcheurs anglais protestent, car les ports français leur sont fermés et notamment les marchés, essentiels pour vendre le fruit de leur pêche. La guerre de la coquille saint-jacques est-elle en cours ?
Jersey et les îles anglo-normandes
L’origine de cette discorde revient à la situation particulière des îles anglo-normandes. Cet archipel, situé à proximité de la Normandie, dispose de deux îles principales, Jersey et Guernesey, connues notamment pour avoir été le lieu de l’exil de Victor Hugo. Ces îles sont géographiquement plus proches de la France que de la Grande-Bretagne et sont enclavées dans les eaux continentales françaises, créant des conflits de frontières parfois difficiles à démêler, surtout quand il s’agit de trancher sur les accès aux zones de pêche. Ces îles n’ont jamais été françaises à proprement parlé et ne font pas partie du Royaume-Uni, donc de l’Union européenne. Elles étaient la propriété du duc de Normandie, reconnu suzerain de ces terres lors du traité de Saint-Clair-sur-Epte (911). Le duc de Normandie étant vassal du roi de France, elles étaient de facto sous la juridiction ultime du roi capétien. Mais lorsque Philippe Auguste confisqua les territoires normands de Jean sans Terre (1204), ces îles demeurèrent sous la juridiction de la couronne britannique et ne rejoignirent pas la couronne française ; une situation qui perdure jusqu’à aujourd’hui.