Dans le diocèse de Fréjus-Toulon, de nombreuses communautés religieuses et paroisses pratiquent la forme extraordinaire du missel romain, dans une pleine communion avec l’évêque du lieu, et la fidélité au concile Vatican II. C’est dire l’incompréhension que ces fidèles peuvent ressentir face aux restrictions apportées par le motu proprio du pape François dans l’usage de la messe tridentine. Pour Mgr Dominique Rey, qui se félicite de la « grande force missionnaire » des communautés traditionnelles dans son diocèse, le motu proprio peut contribuer à renforcer le dialogue et l’intégration de tous les fidèles à la mission évangélisatrice de l’Église, sans renoncement à une « liturgie si féconde en saints et en vocations ». Il s’en explique à Aleteia.
Aleteia : Monseigneur, comme d’autres évêques de France, vous vous félicitez de « l’esprit évangélique et de la communion ecclésiale » des fidèles et des prêtres attachés à la messe tridentine dans votre diocèse. Comprenez-vous l’émoi et l’inquiétude que le motu proprio Traditionis Custodes a suscité chez eux ?
Mgr Dominique Rey : Dans le Var, la grande majorité des catholiques attachés à la messe tridentine cherchent vraiment à s'intégrer au tissu diocésain, à tisser des relations fraternelles avec les autres fidèles et les autres prêtres et à œuvrer de concert avec eux, dans une même charité. Cette décision prise pour l'Église universelle peut donc donner l'impression de nier leur désir d'unité, vécu dans mon diocèse comme dans de nombreux autres diocèses français. Cette lettre apostolique a également pu être incomprise par de nombreux catholiques attachés au nouveau missel, qu'ils aient fréquenté ou non les richesses de l'ancien. Nous devons tous recevoir ce motu proprio dans l'obéissance et la confiance. Je crois que les fidèles attachés à la messe tridentine qui s'associeront au souci d'unité affiché par le Saint-Père montreront aux différents évêques que la forme extraordinaire a toute sa place dans leur diocèse. J'en suis déjà convaincu pour le mien.
Partagez-vous cependant la double « angoisse » du pape François devant les dérives liturgiques mais aussi devant l’attitude des catholiques qui auraient abusé de la protection de Benoît XVI pour refuser l’enseignement du concile Vatican II ?
Le pape François a raison de se méfier de toute tendance au monopole, de toute tendance à « établir sa propre justice », selon l'expression de saint Paul aux Romains (10, 3). Mais, encore une fois, ce n'est pas ce que j'ai expérimenté dans mon diocèse, où les communautés traditionalistes m'ont paru faire au contraire preuve d'une grande fidélité à tout le magistère de l'Église, et notamment au concile Vatican II. D'ailleurs, en effet, cette tendance n'est pas le propre des communautés attachées à l'ancien missel, et le pape rappelle dans Traditionis custodes que le nouveau missel est sujet à de nombreux abus. Toutes les communautés, surtout si elles suivent des règles spécifiques ou si elles ne sont pas enracinées dans la Tradition, peuvent chercher à s'arroger la loi, les sacrements et même la grâce. Mais ces biens ne sont la propriété de personne : ce sont des dons divins, et il revient à l'Église de les recevoir et de les administrer pour tous. En ce sens, la mission des chrétiens n'est pas de « s'approprier » la liturgie ou les sacrements, mais de gagner le cœur des pécheurs. L'Église est là pour tous les hommes (2 Co 12, 14) et le rôle de l'évêque et des prêtres est donc de faire en sorte qu'ils puissent s'incorporer toujours plus au Corps du Christ, pour y recevoir pleinement la vie divine.
Le pape François vous a confirmé, en tant qu’évêque, comme gardien de la vie liturgique de votre diocèse. Quelles mesures comptez-vous prendre pour appliquer le motu proprio ?
Précisément, je compte recevoir et appliquer ce motu proprio dans le sens d'une plus grande communion missionnaire entre les fidèles, car la mission est notre dénominateur commun : l'Église existe pour évangéliser, disait Paul VI, elle existe pour ce qui n'est pas encore l'Église. Cette communion se réalise par une foi, une espérance et une charité communes. La communion ne se décrète pas : elle se reçoit dans l'eucharistie, et se déploie dans le service et le dialogue. Cette unité ne procède pas seulement de la liturgie, mais aussi de l'engagement fraternel et de la vie pastorale. Elle n'est ni une juxtaposition des sensibilités ni une uniformisation administrative : elle se veut intégrative et missionnaire. Bien sûr, l'incorporation au Corps du Christ n'est jamais aussi bien réalisée que dans et par l'eucharistie. La diversité des formes liturgiques — latines ou orientales — au sein du catholicisme ne nuit pas à cette unité, car leur cœur est le même, grâce la présence réelle et substantielle de Dieu. Le pape François n'a d'ailleurs pas aboli le missel de saint Jean XXIII, mais il veut s'assurer que ceux qui le suivent ne se détachent pas de l'Église universelle, qu'ils restent fidèles au désir de réconciliation voulu par son prédécesseur Benoît XVI. L'Église est très attachée au principe de subsidiarité, et c'est pourquoi le Saint-Père veut que le motu proprio soit appliqué suivant le discernement des évêques, selon les réalités de chaque diocèse.
Je ne compte pas laisser tomber les fidèles attachés à la liturgie tridentine et trouverai des solutions pour qu'ils puissent être parfaitement unis à la vie ecclésiale sans être forcés de renoncer à une liturgie si féconde en saints et en vocation.
Dans le diocèse de Fréjus-Toulon, nous avons élaboré l'année dernière la charte « Saint Léonce » qui organise en particulier à l'intérieur du diocèse l'accueil et l'intégration des prêtres et communautés attachés à la messe tridentine. Cette charte, votée à l'unanimité par le conseil presbytéral, demande à toutes les personnes et réalités ecclésiales du diocèse l'acceptation du concile Vatican II, en particulier de sa réforme liturgique, et du magistère du Saint-Père. Comme le réclame le motu proprio, je vais nommer un délégué épiscopal en charge du suivi de ces communautés pour favoriser leur intégration dans notre diocèse. Comme pasteur du troupeau qui m'a été confié, je dois me porter auprès de tous les catholiques du Var, les rassembler dans la foi de l'Église, mais aussi les mobiliser pour l'annonce de l'Évangile auprès de tous ceux qui sont en distance avec la foi et l'Église. Je ne compte donc pas laisser tomber les fidèles attachés à la liturgie tridentine, qui ont une grande force missionnaire, et je trouverai donc des solutions pour que ces catholiques puissent être parfaitement unis à la vie ecclésiale sans être forcés de renoncer à une liturgie si féconde en saints et en vocations à travers les siècles, et jusqu'à aujourd'hui.
Faisons un peu de prospective. Est-il envisageable à votre avis de progresser réellement vers un enrichissement des deux formes du rite romain, afin que cesse la tension entre les sensibilités liturgiques ?
Cet enrichissement mutuel des deux formes du rite romain est déjà expérimenté dans de nombreuses communautés, mais les réformes liturgiques doivent être menées avec pédagogie, délicatesse et persévérance, si elles veulent porter du fruit. D'ailleurs, le missel de Jean XXIII a subi quelques modifications sous les pontificats de Benoît XVI et de François : il appartient à la Tradition vivante de l'Église. Au-delà d'un enrichissement strictement liturgique des deux formes du rite, j'ai déjà pu constater un authentique enrichissement fraternel, voire une émulation entre chrétiens de différentes sensibilités. D'un groupe à l'autre, je constate chez les jeunes générations un attachement réel au magistère, la quête d'une liturgie soignée pour l'évangélisation, la volonté de s'intégrer à une grande famille paroissiale, et le besoin d'une annonce kérygmatique vécue ensemble. Ainsi, ce dialogue entre communautés et groupes de sensibilités diverses doit être un bienfait pour la vie ecclésiale, et un témoignage d'unité.
La réconciliation voulue par Benoît XVI a déjà porté de grands fruits dans de nombreux diocèses.
En France, les tensions entre fidèles des différentes sensibilités liturgiques seront, je l'espère, en grande partie dépassées dans quelques années. La réconciliation voulue par Benoît XVI a déjà porté de grands fruits dans de nombreux diocèses. Je crois que la vitalité des communautés traditionnelles, au sein desquels l'âge moyen des prêtres est de 38 ans, pourra être une promesse pour l'avenir de l'Église dans la mesure où nous parviendrons à développer cette communion missionnaire que le Christ et le monde attendent de nous.
Propos recueillis par Philippe de Saint-Germain.