Rome, 1591. Dans une rue passante de la ville éternelle, un jeune jésuite est figé sur place. Les autres passants l'évitent, ils se hâtent de passer leur chemin. Mais Louis de Gonzague (1568-1591) ne peut qu’être paralysé par le triste spectacle.
Recroquevillé contre un mur dans un lit de boue et de poussière, un homme défiguré respire bruyamment. Il tremble de fièvre, ses membres sont couverts de cloques violacées, et ses vêtements sales lui collent à la peau. Même depuis l’autre côté de la rue, Louis peut sentir l’odeur de la pourriture et de la mort. Encore un pestiféré abandonné à son sort.
Alors qu’il était sur le chemin de l'église pour aller à la messe, Louis a croisé le regard du malheureux quelques instants. Des yeux au reflet vide, sans espoir, qui n’attendent rien des passants. Une envie de vomir saisit le jeune jésuite. Il détourne le regard et continue son chemin d’un pas rapide.
Louis s’arrête brusquement. Luttant contre l’instinct qui lui intime l'ordre de s'enfuir, il s’efforce de se retourner vers le pestiféré à terre. Une nouvelle sensation désagréable l’envahit. Il se sent soudainement rougir de honte.
Agere contra
Agir contre. Le principe d’agir contre les élans naturels qui vont à l’encontre du bien et du devoir. Louis a peur. Peur de la peste, peur de la mort. Il veut fuir, loin de la contagion car il est humain.
Mais cette créature qui l’effraie et qui lui retourne l’estomac, est-elle moins humaine que lui ? Le Seigneur n’a-t-il pas dit "Amen, je vous le dis : chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait." (Mt 25, 45). Est-ce le Christ qu’il s’apprête ainsi à laisser périr dans la rue comme un chien ?
La lèvre tremblante, la nausée à la gorge, Louis retourne sur ses pas. L’odeur infecte lui fait tourner la tête mais il approche. Un haut-le-cœur le secoue au contact de la peau suante couverte de plaques mais il prend la main squelettique et la porte à ses lèvres. Alors que tout son bon sens le somme de fuir, il hisse le malade sur ses épaules.
Sur le chemin de l’hôpital, le jésuite récite une prière de pénitence et fait le serment de secourir ses frères malades.
Louis de Gonzague va rendre l’âme quelques semaines plus tard, le 21 juin 1591, emporté par la peste. Le pape Benoît XIII le canonise en 1726. Il est le saint patron de la jeunesse, des étudiants et des personnes atteintes du sida.