Qu’elle est belle, cette question posée ce 17 juin au peuple français ! Certes les 780.000 candidats présents ce matin-là ne totalisent pas les Français, mais oui, reconnaissons-le : à moins d’avoir élu domicile sur la planète Mars, impossible d’échapper à cette tradition bien française. Tous les ans, fin juin, le pays entier planche sur les sujets du bac. Et ça discute sec…
Alors justement : discuter, est-ce renoncer à la violence ? Un immense merci à ceux qui, par le biais de cette question, nous mettent face à la réalité, et nous invitent à ne pas nous payer de mots. Car il n’y a pas de pire idée que celle-ci : croire que la magie des mots constituerait un remède à la violence. D’ailleurs il n’est pas impossible que la question suscite chez nos jeunes candidats un curieux dédoublement : l’élève consciencieux qui vantera sur son devoir le mérite pacificateur de la parole et des échanges retrouvera quelques heures plus tard un univers familier bien différent. Celui des réseaux sociaux où les noms d’oiseaux ont tôt fait de dégénérer en menaces de mort, celui des plateaux télés où de joyeux animateurs alimentent les attaques verbales avec des airs gourmands, mais bon ! tant qu’on ne touche pas à son poste, tout ça se discute, par conséquent… On n’est pas couchés.
La vie quotidienne elle-même est émaillée de discussions qui ne mènent à rien, d’écharpages verbaux qui donnent juste envie d’en finir, de négociations intra-familiales interminables se terminant en claquages de portes, et certaines discussions féroces sont déjà un prélude à la brutalité. Voilà le quotidien bien réel, bien concret de nos jeunes : tout le monde a quelque chose à dire, tout le monde a besoin d’être écouté, et il est rare que tous aient raison en même temps. C’est probablement dans cette direction qu’il faut alors regarder, si on fait partie de ceux qui espèrent encore que les conflits se règlent mieux par les mots que par les poings.
1Écouter
Croire que celui qui me parle est digne d’un intérêt sincère, qu’il peut aussi m’apprendre quelque chose. Lui faire crédit de bonne foi : ne pas confondre l’adversaire, celui qui défend d’autres idées que les miennes, avec un ennemi. Ne pas préjuger de ses intentions.
2Chercher
Pourquoi écouter si ce n’est pour aller à la découverte d’idées nouvelles, de connaissances inédites, de points de vue plus riches et surtout d’histoires personnelles ? Car derrière celui qui soutient ses convictions se tient toujours une histoire personnelle qui éclaire et humanise le point de vue. Comme toute histoire elle se raconte, comme toute histoire elle prend du temps à se dire.
3Prendre son temps
Voilà le secret : passer du temps avec celui avec qui on parle, du temps avant, du temps après. Tout ceci prépare, atténue, accompagne ce qui sera échangé car, convenons-en, tout n’est pas toujours agréable à entendre. Et tout ne se règle pas en 140 caractères.
4Renoncer
Renoncer à avoir raison à tout prix, renoncer à avoir le dernier mot, renoncer à dire ou écrire ce qui nous passe par la tête, et tant pis pour le bon mot. Renoncer à se faire valoir. Car en réalité, celui qui me démontre que j’ai tort pique mon amour-propre mais fait de moi le grand gagnant de l’échange : je suis celui qui repart plus intelligent, plus éclairé, plus savant !
Vous comprendrez que nous sommes sortis du monde de la discussion pour entrer dans l’expérience du dialogue. Le dialogue authentique est porteur de paix pour les raisons que nous avons dites, mais il est fondamentalement source de paix car il commence avec soi-même, dans le silence de notre vie intérieure où déjà Quelqu’un nous parle. Le dialogue s’apprend entre soi et soi-même, lorsque dans le silence nous apprenons la disponibilité, le temps pris sur la course du monde, lorsque nous apprenons à nous demander si nous avons bien raison de mener les combats que nous menons et où nous fortifions.
Ce chemin du dialogue est avant tout donné à qui sait s’extraire des discussions pour bien y revenir. Là où les discussions tournent au jeu parfois dangereux, le vrai dialogue est une véritable aventure. Une aventure personnelle, éducative et politique.