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« Pour Napoléon, la non-confessionnalité de l’État ne signifiait pas séparation »

SIGNATURE DU CONCORDAT

Signature du Concordat entre la France et le Saint-Siège, le 15 juillet 1801, par François Pascal Simon Gérard.

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Thierry Lentz - publié le 03/05/21
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Le 5 mai 1821, Napoléon meurt à Sainte-Hélène. Deux cent ans après, que reste-t-il de l’héritage de l’Empereur dans les relations entre l’Église et l’État ?

Après le Concordat, les relations se tendent entre Napoléon et les catholiques. Pour le directeur de la Fondation Napoléon, auteur d’une cinquantaine d’ouvrages et de publications sur l’œuvre de l’Empereur dont un récent Pour Napoléon (Perrin), l’Église apparaît comme le vainqueur de l’affrontement. Pour autant, l’héritage napoléonien continue de marquer la conception française de la laïcité.

Aleteia : le Concordat, signé en 1801, est voulu par Napoléon pour refaire la « fusion nationale ». L’Église a-t-elle tiré parti de la pacification napoléonienne ?
Thierry Lentz : Le Concordat est, à l’origine, un accord avantageux pour l’Église. Il lui permet de reprendre une place dans la société française, sous certaines conditions, tandis que les gouvernements révolutionnaires avaient voulu l’en priver. En gros, l’accord reprend les pratiques du gallicanisme, ce dont Rome aurait certes voulu se passer mais que Pie VII accepte finalement pour faire rentrer sa « fille aînée » dans le sein de l’Église. Les choses se gâtent cependant très rapidement, avec la publication unilatérale par le gouvernement français des fameux « articles organiques » qui bouleversent le fragile équilibre du Concordat en faveur de l’État. Le conflit va aller crescendo et aboutir à l’occupation des États romains, à l’excommunication de Napoléon et à l’arrestation du pape. Ceci étant dit, la victoire de Napoléon ne durera pas. À l’arrivée, à la restauration des Bourbons, l’Église peut apparaître comme le vainqueur de l’affrontement, ce qui, cette fois, lui permettra de jouer à front renversé et de refuser… la révision du Concordat dans les années 1820. Mieux, elle fera son retour dans les grandes instances étatiques et l’enseignement. Au final, on peut dire que malgré ou même grâce aux orages des années napoléoniennes, elle fait un remarquable retour dans la société française, position qui ne lui sera plus contestée pendant trois quarts de siècle.

Les relations de Napoléon avec l’Église catholique sont de fait ambiguës. Son objectif est l’ordre public : il se montre favorable au sentiment religieux, mais il consacre bien une forme de tutelle de l’État sur la religion. N’a-t-il pas contribué à semer le germe d’une hostilité qui resurgit en permanence à travers une conception négative de la laïcité ?
La question principale dans les relations Église-État est en effet pour Napoléon l’ordre public. Il n’intervient quasiment pas dans les croyances, sauf à la marge lors de la rédaction du nouveau catéchisme. Celui-ci est dit « impérial » car on y demande aux fidèles de prier pour l’empereur et pour la France, ce qui n’a rien de rédhibitoire pour les catholiques. En revanche, dans le cadre d’une société en ordre, au sein de laquelle l’État joue un rôle central, il ne tolère aucun empiètement, ce que d’ailleurs les évêques ont généralement bien compris et admis. Sans doute cette attitude rigide et constante a-t-elle joué sur la relation entre les deux institutions de façon durable. Restaurateur des cultes, Napoléon en est aussi le réorganisateur. C’est à l’État qu’il revient de donner leur place aux religions et de sanctionner les écarts.

Peut-on dire que la « marque napoléonienne », qui appartient dites-vous à l’identité française, s’est retrouvée dans la loi de 1905 ? 
La non-confessionnalité de l’État, proclamée par la Révolution et assise par le Code civil, est incontestablement un héritage napoléonien. Mais elle est surtout constituée d’un faisceau de solutions pratiques, comme l’acceptation du divorce civil, l’exclusion de l’Église des actes d’état-civil, etc. Sur ce plan, Napoléon n’était pas pour autant un doctrinaire. Il acceptait une intervention des cultes dans la vie politique et sociale, à condition (mais c’est une condition importante) qu’elle ne remette pas en cause la primauté du pouvoir civil et le sacro-saint ordre public. Cette non-confessionnalité ne signifiait pas une séparation, la prise en charge des salaires ecclésiastiques, la nomination des évêques par le chef de l’État suivie de leur investiture par le pape formaient un ensemble de collaborations qui obligeaient à se parler et à collaborer. Si le conflit fut vif au sommet parfois, il ne troubla guère les pratiques cultuelles de l’ensemble de la population.

L’art politique napoléonien pourrait-il servir aujourd’hui dans la lutte contre le communautarisme et les « séparatismes » ?
On dit souvent que pour organiser le culte musulman, l’État pourrait s’inspirer de ce que Napoléon a fait pour l’assimilation des juifs, par ses décrets de mars 1808. On oublie cependant que si la solution trouvée fut à terme un grand succès, elle comprenait aussi des concessions importantes de la part des Français juifs et une certaine dose de contrainte. C’est sans doute ici que le bât blesse pour reproduire la procédure ou s’en inspirer : après 1808 et la réorganisation complète du culte mosaïque, l’État fit preuve de constance et, surtout d’autorité, pour ne tolérer aucun manquement du côté de ses nouveaux partenaires… qui d’ailleurs jouèrent toujours parfaitement le jeu. Le nerf d’une telle « négociation » est donc bien une clarté de vue, une constance et, pour l’application concrète, l’autorité de l’État. Ce sont au fond des conditions qui paraissent manquer aujourd’hui.

Propos recueillis par Philippe de Saint-Germain.

Pour Napoléon, par Thierry Lentz, Perrin, mars 2021, 200 pages, 15 euros.

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