Tous les pays ont leurs espions et tous les pays sont espionnés. Partant de cet état de fait, étudier l’espionnage au sein du Vatican relève de l’intérêt historique certain. On connaît les combats de Pie XII contre les nazis, le rôle joué par Jean XXIII lors de la crise de Cuba, celui de Jean Paul II dans la chute de l’URSS et, plus récemment, de François dans la réconciliation de La Havane et de Washington. Étudier le rôle des espions est le sujet auquel s’attelle Yvonnick Denoël dans son dernier ouvrage, Les Espions du Vatican. De la Seconde Guerre mondiale à nos jours (Nouveau monde, 2021).
Le problème pour l’historien qui traite de ces sujets est celui de l’accès aux documents fiables. Comment traiter de l’histoire de l’espionnage, matière secrète et indicible s’il en est, sans tomber dans les fantasmes et les folles extrapolations ? L’historien qui souhaite traiter de ces sujets doit s’appuyer sur des sources et des documents irréfutables. L’auteur a travaillé sur les archives de divers services secrets accessibles en ligne et sur des dépouillements d’archives de pays de l’Est. La difficulté reste l’accès aux archives du Saint-Siège, qui ne sont pas ouvertes pour les années postérieures à 1958.
Les premiers chapitres du livre sont les meilleurs. L’auteur étudie l’action du pape Pacelli contre les nazis et les différents combats d’influence et d’espionnage qui ont eu lieu à Rome durant la Seconde Guerre mondiale. Cette période est bien connue puisque la plupart des archives sont désormais ouvertes, celles du Vatican et celles des autres pays européens ; ce qui permet aux historiens de s’appuyer sur des sources et des documents tangibles. L’auteur reprend pour l’essentiel les travaux de Mark Riebling dans son ouvrage traduit en français, Le Vatican des espions. Un excellent ouvrage, qui s’appuie sur des sources et des études historiques fort récentes. Riebling montre comment Pie XII a ardemment combattu les nazis, notamment en organisant plusieurs assassinats contre Hitler, dont l’opération Walkyrie.
Des assassinats qui ont certes échoué, mais qui ont nécessité des liens très importants avec la hiérarchie allemande, notamment avec l’amiral Canaris, directeur du contre-espionnage allemand et qui, bien que protestant, avait une grande confiance en Pie XII et lui a fourni des documents majeurs, comme les plans d’invasions de la France en 1940.
Rappelons ici le principe du fonctionnement des archives pour les lecteurs qui ne sont pas familiers avec ces documents. La plupart des États bloquent leurs archives pendant au moins 60 ans, parfois 30 ans pour des documents mineurs. Cette restriction temporelle vise à protéger les États et les personnes. Les archives sont des documents sensibles, les mettre à la disposition du public peut nuire à des personnes qui sont encore en activité ou qui, retraitées, sont toujours vivantes. C’est bien évidemment le cas des dossiers qui concernent l’espionnage.
Le secret lié à l’espionnage rend le sujet attirant, alors que la vie quotidienne d’un espion est souvent très banale. C’est notamment le cas pour le Saint-Siège.
Les archives du Vatican postérieures à 1958 (fin du pontificat de Pie XII) ne sont pas encore ouvertes. L’auteur n’a donc pas pu y accéder. C’est le cas également de la plupart des pays, dont l’ex-URSS. Pour beaucoup d’entre eux, les archives sont soit fermées, soit difficilement accessibles. Difficile donc de s’appuyer sur les documents soviétiques pour étudier l’infiltration du Vatican par des espions venus du froid. À partir de 1958 (date du décès de Pie XII), étudier ces questions est donc éminemment difficile. L’historien peut s’appuyer sur les sources ouvertes (articles de journaux, discours officiels, dépêches de presse…), mais nullement sur les archives de l’État. Or l’espionnage est un domaine compliqué à étudier en histoire, puisque c’est un domaine secret qui laisse très peu d’archives et de documents. Sans compter les anciens espions et ceux qui font semblant de savoir, développant parfois des thèses fantaisistes et abusives. Le secret lié à l’espionnage rend le sujet attirant, alors que la vie quotidienne d’un espion est souvent très banale. C’est notamment le cas pour le Saint-Siège.
Les services de renseignement du Saint-Siège ne sont pas ceux du Mossad ou de la CIA, qu'Yvonnick Denoël connait bien, on ne peut donc pas appliquer à cet État particulier les grilles d’analyse des services de renseignement d’État. Or un prêtre n’est pas un agent du Betar ni un espion en col romain. Certes, grâce à la présence de prêtres et de religieux dans de nombreux pays et dans des endroits isolés, le Saint-Siège peut disposer d’informations de première main. Mais encore faut-il remonter cette information et savoir comment la traiter. Accéder à de l’information en questionnant un prêtre asiatique sur la situation dans son village n’est pas exactement la même chose qu’espionner un pays.
Voir dans les ordres religieux une phalange marchant au même pas et captant du renseignement pour le pape est une erreur.
De même, l’Église est d'une grande diversité. Certes, on peut supposer que les agents de la CIA et de la DGSE travaillent pour une cause commune (ce qui en pratique est très loin d’être vrai), mais ce n’est pas le cas des membres de l’Église. Voir dans les ordres religieux une phalange marchant au même pas et captant du renseignement pour le pape est une erreur. Dominicains, franciscains, MEP sont composés d’individualités et ne sont nullement des agents au service d’une autorité supérieure. Qu’un jésuite ait pu mener des actions d’espionnage ne signifie pas que tous les jésuites sont au service de l’espionnage du Vatican.
L’erreur commune des historiens qui travaillent sur l’histoire de l’Église et la diplomatie du Saint-Siège est de rester dans une vision uniquement terrestre et d’omettre sa dimension spirituelle. Or le prêtre, avant d’être un diplomate ou un agent de renseignements, est d’abord et avant tout un prêtre, convaincu de sa vocation et de son appel particulier. L’action diplomatique et politique des papes est incompréhensible si on omet le fait qu’ils consacrent de nombreuses heures à la prière et pour qui la messe est le centre de leur journée. Dans la lutte contre l’URSS, la consécration de la Russie par Jean Paul II au Cœur immaculé de Marie le 25 mars 1984 est plus importante que toutes les initiatives diplomatiques. Quand on travaille sur les papes et le Vatican, négliger la mystique, c’est passer à côté du sujet.
Sur le pontificat de Jean-Paul II, si l’on connaît son rôle important dans la chute du communisme, on ne dispose pas encore des documents permettant de le préciser. Le cardinal français Jean-Louis Tauran a ainsi joué un rôle de premier plan, ayant servi de négociateur entre Jean-Paul II et le monde soviétique. Étant décédé en 2018, et n’ayant jamais communiqué publiquement sur son rôle durant cette période, les archives qu’il a pu laisser et qui sont aujourd'hui déposées à la Secrétairerie d’État ne pourront pas être consultées avant 2088, au mieux.
L’ouvrage a le mérite d’affronter un véritable sujet et un sujet important. Mais faute d’accès aux archives du Saint-Siège, il y a encore de nombreux éléments que l’on ne peut pas connaître. Cet ouvrage est une première pierre, qui ouvre des pistes pour les recherches futures. Les faits qui y sont évoqués, notamment après 1958, ne pourront être bien connus et étudiés que dans plusieurs décennies.
Les Espions du Vatican, De la Seconde Guerre mondiale à nos jours, Éditions Nouveau Monde, 2021, 648 pages, 26 euros.
Edit vendredi 23/04 - 12h47 : cet article a été mis à jour après un échange fécond entre l'auteur de l'article, Jean-Baptise Noé, et Yvonnick Denoël, l'auteur de l'ouvrage. Il s'agit notamment de précisions sur les sources utilisées et étudiées par le second.