Normandie, 1085. Les bâtiments claustraux édifiés il y a quelques années à peine donnent une allure à la fois grandiose et priante à la jeune abbaye du Bec. En cette belle après-midi de juillet, le soleil illumine toute le domaine. Rolan s’empêche de plisser les yeux pour profiter de la vue alors que son chariot approche des lieux. Le jeune chroniqueur n’a qu’une hâte ; rencontrer l’abbé Anselme.
Venu rendre visite à un cousin moine, il espérait pouvoir enfin voir de plus près cette école d’où naissent tant d’hommes dévots et sages. De nombreux seigneurs de Normandie y envoient leurs fils. Ceux-ci suivent avec assiduité les enseignements du trivium et du quadrivium. Leurs matinées sont dédiées aux cours de grammaire, de rhétorique et de dialectique. Tandis que l’après-midi, les pensionnaires apprennent l’arithmétique, la géométrie, la musique et l’astronomie. Des enseignements dispensés dans le cadre d'une riche vie de prières.
Une école de piété et de sagesse
Cette formation si dense révéler plusieurs évêques et même un pape. Des hommes de piété et de sagesse incomparables réclamés en Normandie, en France, outre Rhin, dans les Flandres et bien d'autre provinces encore. Trois hommes sont à l’origine de cette formation. D’abord le père Herluin, moine bénédictin et fondateur de l’abbaye. Ensuite, l’abbé Lanfranc, actuellement archevêque de Cantorbéry. Et enfin… Le chariot s’arrête alors et Rolan descend pour se trouver face à face avec le maître des lieux.
- Soyez le bienvenu, salue chaleureusement l’abbé Anselme.
- Merci de m’accueillir, balbutie Rolan, déconcerté par la simplicité du moine. C’est un honneur de vous rencontrer.
Anselme n’est pas beaucoup plus grand que lui. C’est un homme barbu au visage fin et qui malgré des cernes porte un sourire radieux. Il propose à Rolan de le suivre pour découvrir les lieux. Mais le chroniqueur a du mal à se concentrer sur les mots de son hôte. Anselme d’Aoste, successeur de l'abbé Herluin, est celui qui a fait reconnaître au Bec l’importance de la littérature. On dit que c’est aussi grâce à lui que la musique est devenue un enseignement majeur.
- Mon père, demande Rolan. Tout le monde dit que votre enseignement est le meilleur de toute la Normandie.
- Tout le monde ? répond l’abbé en riant. Vraiment ?
- Eh bien, non… bafoue le chroniqueur en rougissant. Mais la plupart.
- Et que disent ceux qui ne sont pas d’accord ?
En défense de la raison
Voilà Rolan bien mal à l’aise. Certes il connaît les rumeurs qui dépeignent l’abbé du Bec comme un hérétique parce qu’il fait lire à ses élèves des œuvres philosophiques datant d’avant le Christ.
- Pardonnez-moi, dit l’abbé après un long silence. Je n’ai pas voulu vous mettre dans l’embarras.
- Oh ce n’est rien. Mais pourquoi vos élèves lisent-ils de la littérature païenne ?
L’abbé rit de nouveau avant de mener son invité au jardin. D’une main, il lui montre le potager et lui demande ce qu’il y voit. Désorienté, Rolan répond qu’il voit des légumes pousser.
- Depuis le début de la création, l’homme a dû faire usage de sa raison pour apprendre du monde autour de lui. Pour distinguer les bonnes plantes des mauvaises. La raison est une qualité qui ne contredit pas celle de la foi. Tous les hommes ne connaissent pas Dieu, mais ils peuvent le trouver par l’exercice de leur raison.
Anselme lui parle alors longuement des philosophes grecs plus vieux que le Christ qui ont su trouver la vérité par la raison. Pour lui, la raison est aussi nécessaire que la foi pour comprendre et rapprocher les incroyants de Dieu.
C’est une philosophie qu’il défend toute sa vie. En 1093, il succède à Lanfranc pour devenir archevêque de Cantorbéry. Là, il entame un combat pour défendre l’indépendance de l’Église face à la couronne d’Angleterre.
Il s'éteint le 21 avril 1109, un mercredi saint. Alexandre VI le canonise en 1494 et il est déclaré docteur de l’Église par Clément XI en 1720. En plus d’un grand sage, saint Anselme est également connu pour son sens de la pédagogie. Chercheur de Dieu, il est volontiers surnommé « docteur magnifique ».