L’attirance chrétienne pour la communication est à manier avec précaution : le manque de professionnalisme et d’humilité peut conduire à des égarements.Un livre récemment sorti dans lequel des prêtres parlent de confessions reçues, a déclenché une violente polémique. Souvenons-nous de cette anecdote du nouveau curé de la paroisse, accueilli dès son arrivée à un banquet organisé par le maire. Ce dernier est en retard et on demande au curé un discours. Dans la joie du moment, Monsieur le curé s’exclame : “Je vois bien que le Seigneur m’envoie ici pour apporter sa Miséricorde. À peine arrivé, la première confession que j’ai dû recevoir m’a permis d’absoudre une pauvre âme, égarée dans le péché d’adultère…” Sur ce, M. le maire finit par rejoindre le banquet et, n’ayant pas entendu les mots de son curé, débute ainsi son toast d’accueil : “Ah, cher Monsieur le curé, quel honneur ça a été pour moi de pouvoir être votre premier paroissien à se confesser à vous…” On imagine le malaise et la suite du banquet ! Autant dire que, sans même avoir lu l’ouvrage, il met mal à l’aise. N’ayant pas lu le livre, il ne me revient pas de dire si, au travers de ces confidences, mes confrères ont techniquement juridiquement rompu le secret de la confession, ce qui serait un scandale absolu. Pour le moins, ils ont sûrement offensé le bon goût et très gravement manqué à la prudence et à la charité.
Tout prêtre un peu formé, un peu discret et bien éduqué, devrait avoir en horreur même d’indiquer que telle ou telle personne serait venue se confesser à lui. À la question qui lui était posée dans un des dîners mondains du Tout-Saint-Germain auxquels il était régulièrement invité, de ce qu’il retenait de tant et tant d’années de confesseur du Gotha, le célèbre abbé Mugnier (1853-1944) — surnommé l’aumônier des grandes familles — répondit simplement, à 80 ans : “Il y a plus de souffrances qu’on ne le croit ; il y a moins d’adultes qu’on ne le pense”.
Là où se joue l’essentiel
Cet étalage nauséabond et malséant de confidences sur des confessions reçues a au moins le mérite de poser en toile de fond la question de la “communication” et de la foi — ou si l’on veut du témoignage chrétien. Quand, en tant que chrétiens — et plus encore comme prêtres — nous intervenons dans l’espace public, en particulier dans le monde des médias (institutionnels ou des réseaux sociaux), quel est notre véritable but ? Pour la plupart, notre réponse sera : témoigner du Christ, de son Église et du message libérateur de l’Évangile. Dont acte. Le tout premier garde-fou à poser, immédiatement, sans aucune autre réflexion est le suivant : le moindre prêtre qui aura au même moment célébré avec foi et dignité la sainte messe aura fait plus que moi. Le plus petit des fidèles qui se sera offert dans la prière au Dieu d’amour aura fait plus que moi. La plus cachée des moniales au fond de son monastère, par sa simple vie donnée aura fait plus que moi. Car c’est là que se joue l’essentiel : le don de soi — tout spécialement dans la liturgie — à Dieu et aux autres.
À chaque époque, les grands saints ont su adapter la transmission de la foi aux nouveaux types de communication qui apparaissaient.
Faudrait-il pour autant abandonner le témoignage médiatique de la foi, de l’espérance et de la charité ? Certes non ! Jésus lui-même a prêché publiquement pendant trois ans (sans oublier les trente années ou presque de silence qui précèdent et l’ultime fin qu’est le sacrifice sur la Croix). Dans l’agir chrétien, saint Paul est l’exemple même de l’utilisation médiatique pour l’annonce du kérygme quand il se rend à Athènes à l’Agora — l’exemple le plus fameux —, pour parler dans un premier temps avec le langage des Grecs de son temps. À chaque époque, les grands saints ont su adapter la transmission de la foi aux nouveaux types de communication qui apparaissaient – et comment ne pas évoquer ici la révolution que constitua l’invention de l’imprimerie, ou bien encore la création des gazettes par saint François de Sales ?
C’est le Christ qui conduit les âmes
Mais notre époque a créé des “Nouvelles Technologies de l’information et de la communication” (NTIC), dont tous, nous sentons bien qu’elles nous dépassent et nous rendent trop souvent aveugles et esclaves. Soulignons ici quelques écueils pour les catholiques. Le premier est sans doute que la recherche du “buzz”, du “clic”, du “like”, finisse par devenir le premier objectif au risque de dénaturer le contenu propre du message évangélique. Tant mieux si tel ou tel “post” recueille un grand nombre d’encouragements, mais l’essentiel n’est-il pas atteint si une seule âme, au travers de ce moyen, a pu être touchée par la grâce ? On peut aussi pécher par le souci d’être trop consensuel, par la peur de trop “choquer” avec l’âpreté du message évangélique et sa radicalité, et donc d’amoindrir le sublime de l’Évangile. La “paresse catholique” peut aussi parfois prendre le dessus, en se contentant d’une qualité médiocre, tant sur le fond que sur la forme, au motif que c’est “catho” donc ça peut ne pas être “pro” — grave erreur qui ne conduit qu’à perdre en crédibilité…
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Bref, les difficultés pour porter avec fruit la Parole du Christ ne manqueront pas aux missionnaires qui auront le courage de s’aventurer sur ces terres nouvelles. Mais l’immense tradition missionnaire de l’Église est porteuse de leçons, dont pour finir ils garderont précieusement la toute première : c’est au Christ qu’il convient de conduire les âmes et non à soi-même — rude leçon à mettre en pratique pour des médias et des réseaux sociaux dont l’attractivité repose précisément sur le théorème opposé et sur l’égocentrisme !
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