Depuis l’intervention américaine de 2003, l’Irak ne cesse de s’embourber dans la violence et la corruption, devenant le jouet des puissances voisines. La visite du pape François est un événement dans un pays historique qui semble sans avenir.
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Si l’adjectif « historique » a un sens, il convient très bien pour qualifier la visite du pape François en Irak. C’est la première fois qu’un pape se rend dans ce pays, dans cette Mésopotamie où se situe le jardin d’Eden et qui a vu la naissance d’Abraham et son départ vers la Terre promise. D’une certaine façon, c’est là que, pour le christianisme, tout a commencé.
Depuis la guerre de 2003, l’Irak s’est vidé de ses chrétiens et plus vite encore depuis l’apparition de l’État islamique en 2015 : Daech a liquidé les populations restantes, semé la terreur et la mort, obligé bon nombre de familles à partir en exil. En revenant aux sources, le Pape essaye de conjurer le futur, celui d’un pays qui risque de se trouver vidés de ses chrétiens, eux qui sont là depuis 2.000 ans et qui sont pleinement irakiens.
Un pays aux mains des milices et de la corruption
L’Irak ressemble à une grande pièce où portes et fenêtres auraient été ouvertes à tous les vents. Le gouvernement de Bagdad a peu de pouvoir et ne contrôle plus grand-chose de son pays. Bien qu’officiellement vaincu depuis décembre 2017, l’État islamique continue d’agir, en tenant quelques zones grises où il entretient réseaux et influences. L’Irak est en proie aux rivalités de ses voisins, notamment la Turquie et l’Iran, qui interviennent dans les affaires intérieures du pays pour mieux placer leurs pions et tenir leur avantage. Le pays est tenu par les milices, que celles-ci soient d’obédience iranienne ou turque. Comme le fait remarquer le chercheur de l’Iremmo Adel Bakawan, les milices sont dans l’État et elles sont l’État. Attaquer les milices, c’est donc attaquer l’État lui-même. Leur présence est officialisée par le fait qu’un budget particulier leur soit alloué tous les ans, budget voté par l’Assemblée nationale. Ces milices tiennent des territoires, assurent la sécurité, favorisent les réseaux et la corruption.
Les minorités, et parmi elles les chrétiens, ne pèsent plus grand-chose, alors que le ministre des Affaires étrangères et vice-premier ministre de Saddam Hussein, Tarek Aziz, était de confession chrétienne.
La corruption est endémique, les ressources de l’État font rêver bon nombre de fonctionnaires et de bureaucrates ayant accès à ses largesses. Elle tire son origine de l’embargo décrété par l’ONU après 1991. Sous couvert de lutter contre Saddam Hussein, les États-Unis ont fait adopter un embargo très strict qui a brisé le développement économique du pays et fait accroître la pauvreté. L’idée était simple : en imposant un embargo, on appauvrit la population qui ainsi se révoltera contre son régime et le renversera. Rien de cela ne s’est passé. Le gouvernement a fait usage de l’embargo pour renforcer son pouvoir dictatorial et tenir encore davantage sa population. La rareté des ressources engendrée par l’embargo a encouragé la corruption, qui a connu à partir de ces années-là une envolée majeure. Ce système n’a fait que croître avec la guerre de 2003 et le renversement de Saddam Hussein. Tout le système étant corrompu, il devenu impossible de lutter.
La revanche des chiites
Les chiites représentent environ 55% de la population irakienne, ce qui justifie qu’il n’ait jamais tenu les rênes du pouvoir, celui-ci étant entre les mains des sunnites. Mais depuis la guerre, la situation politique s’est complètement inversée puisque ce sont eux qui ont pris le contrôle de l’Irak, renvoyant les sunnites dans l’opposition. Un pacte tacite, non écrit, mais respecté par tous, établit la répartition des postes au sein de l’État irakien : 50% pour les chiites, 25% pour les sunnites, 20% pour les Kurdes et 5% pour les minorités. Ce consensus a renversé le rapport de force et l’organisation politique puisque ce sont désormais les chiites, majoritairement situés au sud et liés à l’Iran qui tiennent le pouvoir. Les minorités, et parmi elles les chrétiens, ne pèsent plus grand-chose, alors que le ministre des Affaires étrangères et vice-premier ministre de Saddam Hussein, Tarek Aziz, était de confession chrétienne. L’Irak panarabiste et baasiste, plurielle dans ses religions et ses peuples a vécu. Désormais, le pays est divisé en clans et en milices, qui affiliées à l’Iran, qui affiliées à la Turquie, et semble perpétuellement menacé de désintégration. Les projets de séparation de l’Irak en plusieurs territoires, selon des critères ethniques et religieux, n’ont pas encore été abandonnés, même si cela posera plus de problèmes encore à une région particulièrement instable.
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Que peut le Pape ?
Bien évidemment, le voyage du Pape ne résoudra pas ces problèmes et la situation du pays sera toujours aussi catastrophique avant et après. Néanmoins, la force du symbole est grande et ne doit être nullement négligée, la diplomatie se nourrissant largement du symbole. Ce sera non seulement le premier voyage d’un pape en Irak, mais aussi le premier voyage de François depuis le début de la pandémie et la fermeture des frontières, signe que le monde recommence à aller de l’avant. Pour le peu de chrétiens qui restent, c’est un baume au cœur essentiel et un encouragement à s’engager pour leur pays, en dépit des difficultés réelles.
Le voyage de 2021, parce qu’il demeure dangereux, est d’abord la victoire de la persévérance constante du Pape à aller visiter les populations martyrisées et à prêcher la paix dans un pays déchiré.
Une rencontre avec le grand ayatollah Ali al-Sistani est prévue au cours de ce voyage. Âgé de 90 ans, né en Iran, mais vivant en Irak depuis 1951, al-Sistani est perçu comme un homme pivot du gouvernement irakien. Depuis 2003, son influence politique et morale est grande et va bien au-delà du monde chiite. Il a plaidé la réconciliation des communautés, il s’est opposé à la guerre civile, ainsi qu’à l’expulsion des chrétiens d’Irak. Bien que chiite, il ne partage pas la même vision politique que les ayatollahs d’Iran. C’est lui qui est aujourd’hui la véritable force politique et morale de l’Irak et sa rencontre avec le Pape est tout à la fois la rencontre de deux hommes de foi et de deux chefs d’État. Elle symbolise au plus haut point la force de la diplomatie pontificale, la seule dans le monde à pouvoir associer la cité des hommes et la cité de Dieu.
Bâtisseur de pont
Ce voyage placé sous le double signe de la paix et de la fraternité humaine est évoqué par François depuis de nombreuses années. Dès 2013, il a exprimé son désir de se rendre en Irak. Lors de son voyage en Corée, en août 2014, il avait espéré un temps se poser à Bagdad lors du vol retour, mais la dangerosité du pays l’en a dissuadé. Le voyage de 2021, parce qu’il demeure dangereux, est donc d’abord la victoire de la persévérance constante du Pape à aller visiter les populations martyrisées et à prêcher la paix dans un pays déchiré. L’espace de quelques jours, l’Irak balafré sera uni autour de François, qui marque ainsi son rôle de pontife ; celui de bâtisseur de ponts. Une union qui, même passagère, laissera des traces positives dans le cœur des Irakiens.
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