Mgr de Sinety a vu avec émotion la série documentaire “Nous paysans”, produit par France 2, qui a déjà réuni plus de 5 millions de téléspectateurs. Un siècle de rétrospective de la terre française pétrie par des générations de travailleurs d’exception, amoureux de la “puissance du vivant”.
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“Sois fier, paysan, ton œuvre est féconde !” chantaient les jeunes de la Jeunesse catholique agricole (JAC) dans les années 1960. D’où vient cette émotion qui me saisit en ce soir, devant ces images qui défilent le long d’un siècle où les caméras projettent ces visages d’hier, d’aujourd’hui et de demain ? Quelle est la source d’où jaillit cette douce mélancolie des moissons d’antan, des sourires d’alors et des parfums de ces campagnes d’où désormais nulle fumée ne monte plus ? Le temps d’une soirée, il faut s’arrêter et voir ou revoir ce film merveilleux d’un monde qui ne meurt pas même s’il est moins vivant.
Ces images de travail et de fête
Il y a ces phrases, glanées de champ en champ : “Un jour, on nous a dit qu’il ne fallait plus avoir de sensibilité. Moi je trouvais qu’il y avait une esthétique à mes bêtes… En nous amputant de l’aspect sensible du métier, on nous a empêchés de rester sensibles aux animaux.” Ou bien : “En me disant qu’il serait préférable que je change de vie, de métier, c’est comme si on avait dénigré mon âme…” Il y a ces images de danses, de travail, de fêtes, de labeur, ces paysages profonds et ces récits de familles patriarcales et rudes. Il y a aussi cette longue insistance sur le rôle de la Jeunesse agricole catholique comme grande école de la vie et de la pensée pour des générations de jeunes agriculteurs dans les années cinquante et soixante, parce que “vous comprenez, à part l’Église, personne ne s’intéressait à nous”, avec à la clé l’émancipation des femmes et l’émergence d’un paysan qui devient partenaire de l’État et non plus son fermier.
Moi qui toujours ai vécu en grande ville, je me souviens pourtant du lait s’écoulant du pis énorme, du sourire édenté d’une vieille femme si belle, quand, enfant, nous allions l’été crotter nos souliers pour voir comment le beurre, le fromage, le poulet rôti avaient une origine bien artisanale. J’admirais les puissantes moissonneuses et rêvais un jour de conduire un tracteur qui ferait de moi le prince des terres fécondes.
La puissance du vivant, vous savez, c’est quelque chose. Le sol est vivant ! et quelle puissance !
Un cultivateur se tourne vers le journaliste : “La puissance du vivant, vous savez, c’est quelque chose. Le sol est vivant ! et quelle puissance !” Il n’y a rien à dire d’autre, sans oublier la folie chimique, conséquence de nos désirs apparemment si innocents de vivre mieux, de manger plus, de suer moins. Avant que nous ne nous rendions compte qu’on ne peut avoir impunément le beurre et l’argent du beurre ! Un siècle de rétrospective de la terre française, creusée, labourée, ensemencée, moissonnée, dévastée, reconquise, polluée, assainie. Un siècle de silhouettes de vieux, d’enfants, d’hommes taiseux et de femmes vaillantes, parfois proies des discours démagogues et parfois appelés au secours d’un pays qui s’affole.
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Il faut regarder ces images non par souci archéologique mais par reconnaissance envers ceux qui, longtemps méprisés, sont souvent rendus responsables de nos errances collectives. Parce que nous leur devons le pain que nous mangeons, le vin que nous buvons : travail d’hommes pauvres et pécheurs comme chacun de nous. Mais surtout, parce qu’en ces temps où ceux qui nous appelaient hier encore à imaginer le “monde de demain” semblent comprendre que seuls ils ne peuvent rien, nous voici convoqués à répondre sans nostalgie ni peur à la question posée par l’un d’entre nous, debout, devant sa grange : “L’avenir n’est-ce pas de se demander ce qu’on va faire ensemble ?”
Pour en savoir plus : “Nous, Paysans” de Fabien Béziat et Agnès Poirier, diffusé sur France 2 le 23 février et accessible en replay jusqu’au 24 avril.
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