Si le voyage du pape François en Irak est maintenu début mars 2021, le souverain pontife devrait rencontrer l’ayatollah Ali al-Sistani. Un moment qui s’annonce historique.Annoncée par le cardinal Louis Raphaël Sako, patriarche des chaldéens, le 28 janvier 2021, la rencontre entre le pape François et l’ayatollah Ali al-Sistani devrait bel et bien avoir lieu à l’occasion du voyage du pape en Irak du 5 au 8 mars 2021 si ce dernier est maintenu. Deux ans après avoir rencontré le Grand Imam d’Al-Azhar, le sunnite Ahmad Al-Tayeb, le pape François poursuivrait ainsi son rêve de fraternité en s’entretenant avec l’une des plus grandes autorités chiites au monde.
Un temps évoquée mais jamais confirmée, la rencontre entre le pontife argentin et l’ayatollah Ali al-Sistani devrait avoir lieu le samedi 6 mars, a annoncé Sa Béatitude Louis Raphaël Sako lors d’une conférence de presse organisée par l’Œuvre d’Orient en partenariat avec la Conférence des évêques de France. Cette rencontre se tiendra juste avant la visite du pontife dans la plaine d’Ur, région d’Abraham, le père des Croyants, où doit se tenir une cérémonie interreligieuse avec des représentants chiites et sunnites.
Al-Sistani, une sorte de “pape” pour les chiites
Le Pape fera donc bien une halte à Nadjaf, la ville sainte de l’islam chiite où se trouve le mausolée de l’imam Ali et dans laquelle réside l’ayatollah Ali al-Sistani. D’après le cardinal Sako, la rencontre devrait rester privée et les deux dignitaires pourraient parler de l’importance de la fraternité et de la réconciliation. Toutefois, il n’est pour l’instant pas prévu qu’une déclaration commune sur la fraternité soit signée, comme ce fut le cas à Abou Dabi, lors de la rencontre en 2019 entre l’évêque de Rome et l’autorité sunnite Ahmad Al-Tayeb.
Mais cet événement aura une résonance mondiale compte-tenu de la personnalité et de l’influence de l’ayatollah dans le monde musulman. “Ali al-Sistani est la plus haute autorité spirituelle pour les chiites irakiens, c’est en quelque sorte leur “pape””, confiait à I.MEDIA, Georges Malbrunot, grand reporter au Figaro et spécialiste du Moyen-Orient, peu de temps avant que la rencontre ne s’officialise.
À 90 ans, le chef religieux est en effet une figure tutélaire extrêmement respectée et influente en Irak et au-delà. “Pour donner un exemple, après leur intervention en Irak en 2003, les responsables américains à Bagdad sont régulièrement allés le voir pour lui soumettre leur vision et entendre ses réflexions, notamment sur la nouvelle constitution du pays”, explique Georges Malbrunot. L’ex-otage de l’Armée islamique en Irak insiste encore sur l’influence réelle qu’a le leader religieux sur des centaines de milliers de croyants. “Il est celui qui, en 2014, a publié une fatwa – un décret religieux – appelant à la mobilisation de la population pour aller combattre Daech. Il est donc capable de faire lever des foules importantes”.
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“Que le Pape n’aille pas le voir, cela aurait été un peu comme si le Dalaï-Lama voyageait en Italie sans prendre la peine de venir saluer le Pape”, explique pour sa part un bon connaisseur du pays. “En tant que marja, il est le maître spirituel d’une communauté de fidèles très importante dans le monde musulman”, poursuit-il.
Rendez-vous compte ce qu’une telle rencontre représenterait pour nous.
Dans un programme non officiel qui circulait depuis décembre dernier, cette rencontre au sommet n’apparaissait pourtant pas. Inquiets, beaucoup se sont alors activés – tant du côté chiite que du côté de l’Église catholique en Irak – pour que la rencontre figure bien dans l’agenda.
Fait notable, Ali al-Sistani, qui a toujours refusé de rencontrer un chef d’État, fait donc une exception – en recevant davantage le successeur de Pierre que le chef de la Cité du Vatican.
Outre le cardinal Sako, l’une des personnalités qui a œuvré dans l’ombre pour que cette rencontre puisse avoir lieu est le Père Amir Jajé, dominicain à Bagdad et membre du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux. Joint par I.MEDIA peu avant l’annonce par le cardinal irakien de la rencontre, il expliquait que des représentants chiites l’avaient contacté sitôt l’annonce de la visite du pape en Irak.
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Des membres de la communauté chiite avaient fait comprendre que l’absence de rencontre paraissait inconcevable. “Un chef chiite m’a confié : “Rendez-vous compte ce qu’une telle rencontre représenterait pour nous. Que ces deux hommes bénis puissent se saluer donnerait beaucoup de forces à ceux qui travaillent pour le dialogue et la fraternité dans le monde””, rapportait le dominicain, qui espérait alors qu’un texte comparable à la déclaration d’Abou Dabi puisse être signé à cette occasion.
Le cardinal Sako a reconnu que cette possibilité n’était pas, à ce stade, d’actualité. Sur ce sujet, Mgr Pascal Gollnisch, directeur de l’Œuvre d’Orient, a confirmé que, d’ordinaire, de telles déclarations communes advenaient après un long processus de dialogue et qu’il s’agirait ici seulement d’une première rencontre.
Une rencontre aux enjeux géopolitiques importants pour les chiites irakiens
Si le caractère prophétique de cette rencontre – qui s’inscrit dans l’esprit de la dernière encyclique du Pape sur la fraternité humaine – est réel, la dimension politique et diplomatique de ce passage à Nadjaf l’est tout autant. De nationalité iranienne, l’Ayatollah Ali al-Sistani est reconnu pour son indépendance et son désir de voir l’Irak retrouver sa souveraineté en s’affranchissant des tutelles étrangères. “Ses relations avec l’Iran, pays qui interfère très largement dans les affaires irakiennes, sont donc très difficiles”, explique Georges Malbrunot.
Ne pas se présenter à Nadjaf aurait été un “vrai faux-pas”, confirme une personne qui suit attentivement ces questions. “Cela aurait mis les chiites irakiens dans une situation très délicate”, détaille cette source. Car une lutte d’influence se joue au sein du chiisme, une rivalité qui procède de deux écoles de pensée distinctes, celle de Qom, en Iran, et celle de Nadjaf, en Irak.
La première s’inscrit dans l’héritage de l’ayatollah Khomeini, arrivé au pouvoir en Iran à la suite de la révolution de 1979. Ce courant, toujours en place en Iran, considère notamment qu’il ne faut pas opérer de séparation entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel. Tel n’est pas le cas de l’école de Nadjaf, incarnée par Ali al-Sistani. Dans ce contexte, certains soulignent que ne pas rencontrer Ali al-Sistani aurait été perçu comme un affront, voire même, comme un soutien implicite à l’Iran.