Alors que le Conseil d’Etat doit rendre d’ici samedi 7 novembre son ordonnance concernant l’interdiction de réunion dans les lieux de culte Hubert Veauvy, avocat à la Cour, revient pour Aleteia sur le fonctionnement du Conseil d’État et le juste principe de proportionnalité qui l’anime.Après l’audience fixée ce jeudi 5 novembre afin d’examiner les recours en référé-liberté contre l’interdiction des messes décrétée par le gouvernement dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19, le Conseil d’État devrait rendre son ordonnance ce vendredi ou ce samedi 7 novembre. Une décision attendue qui devrait, comme toutes celles que rend le Conseil d’État, être “adaptée, nécessaire et proportionnée à l’objectif poursuivi”, assure à Aleteia Hubert Veauvy, avocat à la Cour.
Aleteia : Pourquoi le Conseil d’État ne reprendrait-il pas la même décision qu’en mai, à savoir la levée de l’interdiction de réunion dans les lieux de culte ?
Hubert Veauvy : Le contexte n’est pas exactement le même. Dans sa décision du 18 mai 2020, le Conseil d’État a statué alors qu’une première étape du déconfinement avait été décidée et mise en oeuvre. Sur quel fondement l’État pouvait-il maintenir une interdiction relative au culte alors que d’autres activités comme les commerces rouvraient progressivement ? Aujourd’hui nous sommes au début d’un nouveau confinement avec une courbe croissante du nombre d’hospitalisations et de décès liés au Covid-19. Mais, et c’est ce qui est nouveau, avec le maintien de l’ouverture des écoles, des collèges et des lycées.
On entend souvent le terme de proportionnalité pour justifier les décisions prises par le Conseil d’État. Qu’est-ce cela veut dire concrètement ?
La proportionnalité est un concept utilisé chaque fois qu’une mesure restreint une liberté publique. On les appelle des mesures de police administrative. La proportionnalité consiste à veiller à ce qu’une mesure ne soit pas hors de proportion par rapport au résultat recherché, ce qui suppose souvent qu’elle soit limitée dans l’espace et dans le temps.
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Un adage rappelle : “La police ne doit pas tirer sur les moineaux à coups de canon”. C’est exactement ça : quand une mesure restreint les droits et libertés, elle doit être adaptée, nécessaire et proportionnée à l’objectif poursuivi. Lors de l’audience qui s’est tenue ce matin, les requérants vont dire que la suspension des messes publiques est une atteinte à la liberté de culte et que cette mesure est disproportionnée. Dans le cas présent, lors de l’audience qui s’est tenue ce matin, les requérants ont soutenu que l’interdiction des messes publiques était une atteinte disproportionnée à la liberté de culte alors que l’État a soutenu l’inverse.
Le profil des requérants est plus varié qu’en mai… Est-ce que cela dit quelque chose de la légitimité de la demande formulée ?
J’aurais tendance à penser que le Conseil d’État doit juger de la même manière quel que soit le type de requérant car il applique le droit. Mais la variété des profils présents traduit une attente particulière des catholiques. Cela peut pousser le Conseil d’État à rechercher un équilibre qui leur soit plus favorable. Le juge statue en fonction d’un contexte social, donc d’une sensibilité plus ou moins grande à un sujet. Ici nous sommes confrontés à un deuxième confinement, les Français souffrent davantage d’une restriction des libertés. La variété de profil des requérants, qui témoigne de la sensibilité des catholiques à ce sujet, est un élément de contexte et non pas un élément déterminant dans sa décision.
Quelles sont donc, schématiquement, les options du Conseil d’État ?
Le Conseil d’État a deux points à trancher. Le premier est de dire, oui ou non, si le décret attaqué constitue une atteinte grave et illégale à la liberté de culte. Il peut avoir un raisonnement particulier pour y arriver mais la conclusion sera soit positive, soit négative. Le deuxième point est le contenu de l’injonction. Si l’atteinte est reconnue, le juge doit enjoindre l’État de remédier à cette atteinte dans un délai déterminé. Souvent, l’injonction est formulée en des termes généraux et l’État dispose alors d’une marge de manœuvre importante pour y répondre : ce sera au gouvernement de fixer de nouvelles règles sanitaires dans le respect de la décision du Conseil d’État.
Quel(s) argument(s) pourrai(en)t faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre ?
Ce qui joue en la défaveur des requérants c’est le fait que nous nous trouvons actuellement dans une phase de mesures de plus en plus contraignantes alors que le risque est jugé de plus en plus important et que plusieurs pays européens ont également interdit les messes publiques. Mais, au moins deux éléments jouent en faveur des requérants. Le premier point est qu’il n’y a pas eu de cluster dans les églises. Sur la question sanitaire, l’avis du conseil scientifique du 26 octobre disait très clairement que les lieux de culte pouvaient rester ouverts “à condition qu’ils respectent les protocoles sanitaires stricts contractualisés“. Le gouvernement pouvait s’écarter du conseil scientifique mais sa position en est fragilisée.
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Le deuxième point est le fait que non seulement les commerces dit essentiels mais également les établissements scolaires, les gymnases, les transports en commun sont ouverts. Dans ce contexte, pourquoi refuser de considérer que l’activité du culte est une activité essentielle ? Au regard du statut de liberté fondamentale qu’est la liberté de culte, le Conseil d’État peut considérer, comme en mai dernier, que cette inégalité de traitement est dépourvu de fondement. Le troisième point est que les seuls autres pays européens qui ont interdits les messes publiques sont la Belgique, la Grande Bretagne et l’Irlande. Les autres pays européens ne vont pas aussi loin que la France, signe que d’autres solutions sont possibles.