Au nom des « valeurs », on enseigne l’irrespect comme un droit. Cette violence prend littéralement la jeunesse en otage.En mode incantatoire, les « valeurs » de la République sont proclamées haut et fort, en boucle, sur tous les plateaux de télévision, dans tous les discours de la Sorbonne aux Invalides, de l’Élysée à Matignon. Il faudrait défendre la République, seul socle possible pour vivre ensemble, il ne faudrait rien mettre au-dessus des lois de la République, qui serait la norme indépassable de l’agir moral au mépris de la conscience qui se retrouve reléguée au second plan.
Le droit à l’irrespect ?
Cette République — qui n’est qu’un mode de gouvernement parmi d’autres (cinquième du même nom en 230 ans) — se targue de « valeurs » qui sont aussi instables que des actions à la bourse de Paris, valeurs qui montent et descendent au gré des majorités et de leurs dadas électoralistes, qui fabriquent des bulles spéculatives sur des sujets accessoires, valeurs édictées par des comités d’éthique dont on change les membres à chaque législature pour qu’ils correspondent mieux à de nouveaux programmes façonnés on ne sait trop où, à moins qu’on ne le sache que trop.
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Pour asseoir cette République, les régions vont distribuer des livrets de caricatures politiques et religieuses : donc pour apprendre le respect on va étaler l’irrespect, pour contrer la violence, on va être violent avec des jeunes qui n’ont rien demandé à personne et qui souhaiteraient vivre leur jeunesse autrement que coincés entre des questions de blasphème et la théorie du genre. Que n’avons-nous pas appris le respect à nos jeunes avant de leur apprendre le droit à l’irrespect ? Que n’avons-nous pas appris à nos jeunes l’empathie avant de leur apprendre le mépris ? Que ne leur avons-nous pas permis de réfléchir au fait religieux avant de disqualifier la foi de façon systémique à leurs yeux ?
Les jeunes pris en otage
« Est-il permis, oui ou non de montrer des caricatures de Mahomet ? » Ah tiens, cela me rappelle une autre question : « Est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à l’Empereur ? » Si Jésus répond oui, c’est un collabo, ami des Romains et de l’oppresseur. S’il répond non, c’est un zélote qui va être à l’origine d’un bain de sang et ruiner la nation. C’est la même dialectique absurde pour piéger le Christ dont on se sert pour piéger nos contemporains. Si on ne veut pas montrer de caricatures de Mahomet, on est un islamo-gauchiste, peureux face à l’intégrisme, soumis à l’expansion islamique. Si on montre les caricatures, on insulte et méprise certains jeunes, français, qui ont le droit d’être respectés dans leur foi et leurs convictions religieuses.
Plutôt que d’imposer la vue de dessins, ne faudrait-il pas mieux réfléchir au sentiment religieux en France en 2020 et permettre dans les collèges et lycées d’échanger des points de vue de foi, de croyances ou d’athéisme ?
Mais une caricature, ne l’oublions pas, il faut aller la chercher : je n’ai jamais acheté Charlie Hebdo et je ne l’achèterai pas. Le mépris satyrique et l’insulte ne m’intéressent pas. Autant la liberté de dessiner, de caricaturer, de se moquer doit être défendue et ceux qui la contestent doivent être sévèrement punis, autant la liberté de regarder ou pas ces dessins doit être respectée et surtout vis-à-vis de jeunes qui se retrouvent ainsi pris en otage pour défendre les « valeurs » de la République. C’est un viol de la conscience, un de plus, qui va pousser certains jeunes à se servir de ces livrets comme un totem à brûler devant leur lycée. Et certains pleurnicherons de cette jeunesse « qui n’est pas intégrée », « qui ne respecte pas les valeurs de la République ». Mais qui est violent dans cette histoire ? Celui qui prend en otage un gamin ou celui qui demande juste à ne pas voir des dessins qui le choquent ?
La négation du fait religieux
Enfin la question est surtout théologique : qu’est-ce que je connais du ressenti d’un musulman devant une caricature de Mahomet ? Je pourrais vous partager mon ressenti si quelqu’un piétine une hostie consacrée, les lecteurs chrétiens le comprendront. Plutôt que d’imposer la vue de dessins, ne faudrait-il pas mieux réfléchir au sentiment religieux en France en 2020 et permettre dans les collèges et lycées d’échanger des points de vue de foi, de croyances ou d’athéisme ? Mais voilà, la théologie a été évincée de l’université, de l’école, des discours, de la politique, de la pensée, des médias, cette théologie, au sens étymologique — le discours sur Dieu — explose à la figure d’un régime qui a nié qu’elle existe encore dans les cœurs et qui existera toujours parce qu’elle est humaine, profondément humaine. Nier le fait religieux, c’est nier l’humain et la laïcité n’est pas qu’un droit à l’offense : c’est le droit de dire, de faire, de penser, de critiquer mais aussi le droit d’être respecté dans ses convictions.
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