La folie des tueurs n’est pas totalement aberrante et lance quelques défis. Si les catholiques de France sont visés, c’est en raison du lien perçu, à la source de la liberté, entre la foi et l’Occident.
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Des ministres et le président de la République française clament haut et fort, suite à l’assassinat d’un professeur qui avait montré à ses élèves des caricatures de Mahomet, que la liberté d’expression ne doit souffrir aucune restriction et comprend le droit au blasphème, c’est-à-dire à tourner en dérision toute croyance religieuse. Des protestations s’élèvent dans certains pays musulmans, puis un fanatique tue des catholiques dans une basilique à Nice (et d’autres ailleurs sont neutralisés à temps).
Massacres d’innocents
À première vue, il n’y a aucune raison de punir des chrétiens pour des offenses auxquelles ils ne se sont certainement pas associés. Au lendemain du massacre en janvier 2015 de la rédaction de Charlie Hebdo qui avait publié ces caricatures, le pape François a rappelé que la liberté d’expression ne peut pas être séparée du service du bien commun et ne justifie pas l’insulte. Les évêques de France n’ont pas bêlé « Je suis Charlie ! » ni encouragé à faire chorus. Il y a un an, le président de leur Conférence a déploré la « crispation » sur le tchador, demandant qu’on s’intéresse aux intentions des femmes qui le portent, sans s’arrêter à l’effet superficiellement produit.
Comment et pourquoi peut se faire l’amalgame entre d’une part l’Occident déchristianisé et plus particulièrement la France, et d’autre part le catholicisme ?
Ce sont donc des innocents qui ont été sauvagement exécutés. Certes, gouvernements musulmans et autorités islamiques ont sans tarder condamné ces actes de barbarie et s’en sont donc distanciés. Reste à se demander comment et pourquoi peut se faire l’amalgame entre d’une part l’Occident déchristianisé et plus particulièrement la France, et d’autre part le catholicisme. Avant la tuerie de jeudi dernier à Nice, il y a eu des précédents : le meurtre du père Jacques Hamel près de Rouen en juillet 2016, bien sûr, mais aussi une tentative qui a échoué (bien qu’une jeune femme ait été tuée) contre une église de Villejuif en avril 2015.
Devant une folie pure ?
Certes encore, prêtres et fidèles sont loin d’être les seules victimes : celles-ci sont en majorité des policiers, des journalistes, un patron d’usine (autrement dit des représentants de l’ordre social et culturel), des juifs et quantité de simples citoyens, ciblés indistinctement et au hasard. Le terrorisme mérite son nom en ce qu’il repose sur le fait qu’à la différence de l’anarchisme du XIXe siècle et du début du XXe, il n’attaque pas que des symboles personnifiés et frappe également à l’aveugle, de manière à répandre la peur dans la population, sans objectif politique, sans autre visée que purement destructrice.
On a donc l’impression de n’avoir aucune prise sur cette haine, qui semble n’obéir à aucune logique fonctionnelle, puisque la motivation théorique de cette entreprise de sape confiée à des kamikazes isolés est l’instauration d’une dictature islamiste universelle — ce qui est totalement irréaliste, même avec des moyens militaires, comme l’a déjà montré l’échec de Daech après des cruautés systématiques en Irak et en Syrie. Et le scénario — imaginé par Michel Houellebecq dans son roman Soumission (Flammarion) du tout début 2015 — d’une prise du pouvoir dans un cadre démocratique n’était pas une prophétie ni même une mise en garde contre une éventualité crédible, mais une dénonciation du « décadentisme » français.
Les chrétiens ciblés : pourquoi ?
Cependant, Al-Qaïda incite explicitement dans sa propagande à agresser les chrétiens, non seulement au Moyen-Orient mais encore en Europe. Il y a là une rationalité qu’il serait fâcheux d’ignorer. La démence homicide ne repose pas sur des analyses aussi complètes et rigoureuses que possible, mais établit des relations entre des faits et idées qu’elle sélectionne, et elle en tire des conclusions. La folie n’est pas l’absence de raisonnement, mais l’enfermement dans une logique étroite et imperméable, le plus souvent informulée.
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On voit assez bien pourquoi le djihadisme s’en prend aux chrétiens d’Orient et aux juifs : les uns en tant que minorités irréductibles et les autres avec l’État d’Israël sont des obstacles à l’hégémonie islamique au milieu de nations musulmanes. Mais pourquoi viser aussi les catholiques en France ? Le souvenir des croisades (encore cuisant en Asie mineure, comme l’a rappelé Amin Maalouf en les racontant « vues par les Arabes » dès 1983) n’est sans doute pas un motif suffisant. Ce qui est plus profond et plus décisif est peut-être le lien perçu entre la foi et l’Occident. Ce pourrait être là que le délire des terroristes n’a pas tout faux.
La véritable source des libertés
Nous sommes habitués — résignés presque — à la déchristianisation de l’Europe. Mais nous oublions là que la sécularisation (la séparation du temporel et du spirituel avec l’autonomie de chacun) n’est intervenue et n’est aujourd’hui observable que dans les sociétés imprégnées par la Bible et l’Évangile. Lorsque des islamistes égorgent et décapitent dans des églises, même s’ils n’en sont pas clairement conscients et même si leurs commanditaires seraient incapables de le théoriser, ils s’attaquent à la racine du bien le plus cher de ceux qu’ils appellent « les infidèles », et en réalité à la source toujours vive de la liberté de l’homme.
Un défi est lancé à nos concitoyens : sauront-ils discerner et retrouver l’absolu qui fonde leurs libertés chéries ?
Le Dieu du judaïsme et du christianisme, à la différence de celui du Coran, n’entend pas que les êtres faits à son image et à sa ressemblance lui soient soumis, mais lui rendent et partagent entre eux l’amour qui les crée. On n’aime pas sur commande et il les veut donc libres — y compris de lui dire non. Et c’est pourquoi, selon les chrétiens, il leur envoie son Fils et leur Esprit pour leur montrer comment vaincre le Mal sans rendre coup pour coup et leur en donner la force. La liberté et la dignité de l’homme ne sont pas des inventions ex nihilo de la « modernité ». Elles sont issues de la foi et permettent de la répudier, mais au risque d’être conditionnées par des pulsions et par les moyens technologiques disponibles.
Les défis à relever
Il y a là des vérités inconfortables. D’abord, en un certain sens, les terroristes ne frappent pas toujours au hasard. Car ils touchent ce que notre pays a de plus intime lorsqu’ils assassinent des gens venus prier. Ce n’est pas seulement « la communauté catholique » qui est atteinte, comme si elle n’était qu’une des composantes de la société, dont la circonstance imposerait de se déclarer solidaire. Un premier défi est ainsi de reconnaître que l’ennemi est d’autant plus dangereux qu’il ne fait pas que n’importe quoi. Et un deuxième défi est lancé à nos concitoyens : sauront-ils discerner et retrouver l’absolu qui fonde leurs libertés chéries ?
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D’autres défis encore sont à relever par les croyants. Parviendrons-nous à résister aussi bien à la peur qu’à la colère ? Réussirons-nous aussi à nous convaincre que, même si l’on nous dit que nous sommes minoritaires, nous sommes les héritiers et dépositaires, donc les responsables des grâces reçues par notre patrie au long de son histoire et que nous ne pouvons les recevoir qu’en les transmettant ?