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Séparer l’enfant de sa famille en fera-t-il un meilleur citoyen ?

CHILD, ENFANT; PARENTS; SCHOOL

© Evgeny Atamanenko - Shutterstock

Jean-Noël Dumont - publié le 10/10/20

Lutter contre les séparatismes... en séparant les enfants de leurs parents : c’est la curieuse orientation du projet de loi visant à endiguer la menace islamiste radicale, qui empêchera les familles responsables d’accomplir leur mission sociale.

Voilà bien des décennies que notre pays laisse filer des « exclus » qui, sans être chassés ni discriminés, lâchent le lien social effiloché. Ils subissent cette perte du symbolique et du sentiment d’appartenance que les sociologues appellent « déliaison » ou « désaffiliation » plutôt qu’exclusion. Or à cette fatale mécanique qui produit des sans-papiers, des sans domiciles, des sans-emploi et sans aveu, s’est ajoutée plus récemment la montée de l’islamisme qui se présente comme un mouvement religieux radical hostile à l’Occident, ayant des bases à l’étranger. Depuis des décennies l’exclu et le fanatique évoluent dans les mêmes marges où se retrouvent ceux qu’une société sans inspiration laisse tomber. Ce que l’on appelle les « quartiers ». Ici le délinquant et le terroriste se rencontrent. Ce n’est pas, le plus souvent, dans les familles musulmanes que pousse l’islamisme terroriste mais dans les halls d’entrée, les prisons, les hôpitaux psychiatriques. On a souvent fait remarquer que djihadistes et terroristes étaient des voyous « convertis ».

L’échec du neutralisme laïque

On peut accorder à M. Macron que, pour la première fois, un politique au pouvoir s’efforce de nommer les choses, peut-être en a-t-on fini avec ce temps de lâcheté qui condamnait « toutes les violences et tous les fanatismes » pour éviter de nommer l’ennemi. Même s’il faut avouer que ce mot fort alambiqué de « séparatisme » ne rend pas vraiment compte des accointances de la délinquance et du fanatisme. En dépit des incantations présidentielles, cette collusion ce n’est pas la « laïcité », qui n’est plus qu’une neutralisation de l’espace public, qui la dénouera. Car cette « laïcité » du « vivre ensemble » requiert que l’on soit muet sur les questions que pose notre destinée. Le petit voyou se jette dans le fondamentalisme qui lui donne enfin une grammaire que l’école n’a pas su lui donner, un sentiment d’appartenance que la République ne peut donner sans la nation. Faut-il le dire ? Il y trouve sans doute une raison de vivre, de mourir… de tuer. Une laïcité obscurantiste qui discrédite les interrogations métaphysiques livre au fanatisme. Obscurantisme laïque ? Oui, obscurantisme est le mot par lequel on désigne la censure par ignorance organisée. L’anticlérical et le fanatique sont d’accord : la religion n’entre pas dans le champ du discutable. Tant que la laïcité se construisait dans la rivalité mimétique avec la religion elle a été, avec succès, éducatrice, enseignant la morale comme une grammaire et la grammaire comme une morale. Mais de grammaire et de morale il n’est plus guère question. La laïcité n’est alors que la neutralisation de l’espace public censée rendre possible un « vivre ensemble ». Mais peut-on vivre ensemble dans un espace vide ?




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Un formatage contre un autre

Emmanuel Macron tente de désigner l’adversaire, ce qui est le premier courage, trop longtemps attendu. Mais parmi les mesures annoncées, les menaces sur les libertés semblent dangereuses, les naïves incantations de la laïcité semblent impuissantes. Scolarité obligatoire pour tous les enfants à partir de trois ans, interdiction de l’école à la maison, enseignement de l’arabe, apparaissent comme des mesures dangereuses et inefficaces.

Croit-on vraiment que nos écoles sont indemnes d’idéologies, innocentes de tout endoctrinement ? Un regard sur les programmes d’histoire, de biologie, de littérature, laisse aisément voir la part d’idéologie…

Dangereuses, parce ces mesures sont dans le droit fil des attitudes totalitaires qui prétendent façonner la jeunesse par une école monopolistique. « L’école républicaine » laisse voir sa véritable origine qui est l’école napoléonienne, rien n’est encore changé du cadre mis en place au service de l’endoctrinement impérial qui infiltrait jusqu’au catéchisme. Ainsi le gouvernement — tel est le mécanisme de la violence — menace ces mêmes libertés que les adversaires désignés rêvent de supprimer. On est tellement étonné de la violence de l’adversaire, elle paraît si incompréhensible, qu’on en vient toujours à penser qu’il est manipulé, qu’il est un imbécile ou une brute, aussi en vient-on à instaurer un formatage contre un formatage. Croit-on vraiment que nos écoles sont indemnes d’idéologies, innocentes de tout endoctrinement ? Un regard sur les programmes d’histoire, de biologie, de littérature, laisse aisément voir la part d’idéologie et l’on comprend très bien que des familles ressentent ces programmes comme une propagande douce et insidieuse.

Seules les communautés appellent au devoir

Cette mesure qui enlève l’enfant aux familles est dans le droit fil de la tendance totalitaire de l’étatisme, qui ne veut connaître que des individus sans héritage et sans solidarité, qui lutte inlassablement contre les communautés et les corps intermédiaires. L’État contre la société, c’est l’histoire de notre pays depuis quatre siècles. Le mot de « séparatisme », néologisme accouché dans quelque cabinet ministériel, remplace donc le « communautarisme » dont la dénonciation fut naguère un passage obligé de tout discours. Mais par les mesures qui séparent tôt l’enfant de sa famille, on voit que c’est toujours la communauté qui est visée, qui passe pour dangereuse. « L’école, disait naguère Luc Ferry, alors ministre de l’Éducation nationale, ne veut connaître que des individus. » Mais qu’est-ce que le corps commun s’il n’est nourri de tissus communautaires ? L’État peut distribuer des droits, et il le doit, mais les communautés sont seules capables d’appeler des devoirs. C’était le cas quand la Nation, communauté, donnait vie à l’État. Dans un État vraiment libéral les communautés sont une voie de croissance de la loyauté nationale. Ce fut la grande surprise des laïcards de voir les catholiques, lors de la Première Guerre mondiale, se porter au front pour défendre la France. Une loyauté apprise dans la famille et à l’Église a pu préparer tous les héroïsmes.




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Scepticisme intolérant

Ainsi cette mesure qui porte le soupçon sur les familles est-elle inefficace. Croit-on qu’un enfant, musulman ou catholique, breton ou arabe, noir ou blanc, deviendra un meilleur citoyen en ayant rejeté ses loyautés familiales ? Croit-on faire grandir un enfant en liberté en le plaçant dans le conflit des loyautés dont les psychologues ont dit le pouvoir déchirant ? Que donne-t-on en échange à cet enfant qui devrait être convaincu que ses parents sont des fanatiques attardés ? La laïcité est aujourd’hui impuissante à faire grandir un enfant dans un cadre symbolique qui lui permette de se construire. Sous ce nom de laïcité circule aujourd’hui un scepticisme intolérant, impuissant à nourrir une âme et à peine capable d’alimenter une intelligence. Que trouvera-t-il celui qui aura brisé avec ses liens familiaux ? La laïcité vécue comme une neutralisation de l’espace public, incapable même d’ériger une statue au centre du square, est impuissante à accueillir les différences, impuissante à susciter un appel. On n’accueille pas dans la neutralité d’une salle polyvalente mais dans une maison. La France n’est plus guère une maison, mais un espace neutralisé et administré, incapable d’accueillir. La « fête », fut-elle celle de la musique ne remplira pas cet espace. C’est encore des communautés qui se consacrent à l’accueil, mais elles n’osent guère désigner leur source spirituelle, craignant plus la laïcité pourvoyeuse de subventions que l’Islam.

Au reste les menaces que font peser les déclarations de M. Macron sur la liberté de créer des écoles méconnait que des écoles hors contrat d’inspiration chrétienne réussissent l’intégration d’enfants musulmans.

Les établissements confessionnels sont plus tolérants

On accueille et on éduque dans une maison. L’enfant ne peut grandir que dans un cadre symbolique cohérent et vivant, qui lui donne une lecture sensée de ce monde et de sa destinée. Il pourra bien s’en affranchir un jour, c’est cependant cette culture qui l’a fait grandir et rendu capable de s’interroger. L’ignorant ne se pose pas de questions ! Aussi cette laïcité de salle polyvalente n’a-t-elle rien à dire aux jeunes désaffiliés que le fanatisme fascine. Une fois encore, s’il y a une bonne réponse au « séparatisme » elle sera dans la confiance accordée aux capacités éducatives des communautés. De nombreux témoignages montrent que les enfants de familles musulmanes se sentent mieux accueillis dans un établissement catholique car on n’exige pas d’eux qu’ils accrochent leur loyauté au porte-manteau. Si l’établissement est animé d’une véritable formation spirituelle, l’enfant voit reconnue la légitimité de rites et de ferveurs qui font sa fierté. Des enquêtes faites naguère aux États-Unis ont même montré que les élèves issus d’établissement confessionnels sont plus disposés à la tolérance. Au reste les menaces que font peser les déclarations de M. Macron sur la liberté de créer des écoles méconnait que des écoles hors contrat d’inspiration chrétienne réussissent l’intégration d’enfants musulmans. Une école où se vit une identité cohérente, qui offre rite et sens, est plus à même d’accueillir qu’une institution impersonnelle qui annule tous les points de vue… en les traitant précisément comme des points de vue relatifs. Il n’y a pas de tolérance sans hospitalité, pas d’hospitalité sans culture.

C’est l’enseignement du français qui est attendu

Faut-il ajouter que la dernière mesure annoncée, l’enseignement de l’arabe, est si saugrenue qu’on se demande si elle est même applicable. Une telle proposition n’intéressera en rien les familles musulmanes, encore moins celles qui sont issues d’une immigration récente. Apprendre l’arabe ? C’est le français qu’ils veulent apprendre, que les mères et les pères de famille veulent apprendre pour comprendre où ils vivent et se faire une place, avoir des amis et un travail, n’avoir pas honte. Combien de mères sont recluses par leur ignorance du français ? M. Macron veut-il que les familles musulmanes sortent de leur vase clos ? Qu’il institue des cours de français ! La montée de l’illettrisme en France montre que le vrai défi est bien de permettre même aux enfants français d’habiter leur langue. Naguère on proposa que les enfants issus de l’immigration passent un an de préscolarisation et d’apprentissage de la langue avant d’intégrer le cursus scolaire. Cette mesure fut rejetée avec indignation comme une ségrégation ! 

La menace nihiliste

On a tant laissé filer les déshérences que le défi du « séparatisme » sera dur à relever. Est-ce du fanatisme religieux qui pousse des jeunes de Rillieux à brûler des voitures, à en jeter une sur la façade d’une église ? À jeter des boules de pétanque sur les pompiers ? Non, c’est de ces explosions nihilistes qu’annonçait Fukuyama. Relisons-le : rien ne fait obstacle, écrit-il, « à une future guerre nihiliste contre la démocratie libérale, de la part de ceux qui ont été élevés en son sein. Le relativisme, qui soutient que toutes les valeurs sont simplement relatives et qui attaque indifféremment toutes les “perspectives privilégiées”, finira par miner aussi les valeurs de la démocratie et de la tolérance ». Les petits voyous et les crapules fanatisées ont l’ignorance en commun, mais hélas l’incantation d’une laïcité qui ne porte plus aucune fierté, aucun sentiment d’appartenance, est dérisoire face à de tels défis. C’est au contraire en protégeant et cultivant la réalité communautaire, sans créer de conflits de devoirs, que l’on pourrait réparer les confiances déchirées. L’école, la police, l’hôpital, l’Église, les pompiers, les services les plus généreux et les plus nobles ne sont-ils plus que les administrations discréditées d’une cité sans citoyens ?


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ÉducationEnfantsSéparatisme
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