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Cardinal Barbarin : “Les cris des victimes sont incrustés dans ma chair”

Cardinal Barabrin

15 octobre 2017 : Temps de prière lors du rassemblement des catholiques séparés, divorcés ou divorcés remariés organisé à la cathédrale Saint-Jean, avec le cardinal Philippe BARBARIN. Lyon (69), France.

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Marzena Devoud - publié le 06/10/20
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Désormais aumônier des Petites Sœurs des Pauvres à Saint-Pern, en Bretagne, le cardinal Philippe Barbarin, archevêque émérite de Lyon, publie un livre où il revient sur les quatre dernières années marquées par le procès et la tempête médiatico-judiciaire. Aleteia l’a rencontré.

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“En mon âme et conscience”. C’est le titre du livre écrit par le cardinal Philippe Barbarin paru le 1er octobre aux éditions Plon. Condamné en première instance à six mois de prison avec sursis pour ne pas avoir dénoncé les agressions sexuelles commises pendant vingt ans par Bernard Preynat sur des scouts entre les années 1970 et 1990, l’archevêque de Lyon a finalement été relaxé en appel en janvier dernier. Deux mois plus tard, en mars 2020, Mgr Barbarin annonçait qu’il quittait ses fonctions de Primat des Gaules après dix-huit ans de ministère à Lyon. Une démission acceptée par le pape François, avant de rejoindre début juillet l’archidiocèse de Rennes, où il est aujourd’hui aumônier de la maison-mère des Petites Sœurs des Pauvres à Saint-Pern , en Ille-et-Vilaine. C’est depuis le monastère des contemplatives du mont des Oliviers en Terre sainte, au cours d’une longue retraite spirituelle, que le prélat a écrit ce livre – dont les droits d’auteur seront reversés aux victimes d’agressions sexuelles – avec cette phrase en exergue : “Le temps est venu d’apporter mon témoignage. La vérité est nécessaire. Pour tous”. Rencontre avec un homme apaisé.

Aleteia : Monseigneur, pourquoi écrire ce livre ?
Cardinal Philippe Barbarin : Le tumulte médiatique est passé. Il m’a semblé bon de dire des choses qu’on ne pouvait pas exprimer alors. Le temps est venu de raconter certains faits, de décrire posément un cheminement intérieur. Bien sûr, ce livre sera plus ou moins bien reçu, j’espère surtout qu’il apportera plus de lumière et de paix que de trouble.

Dans votre préface, vous dites que vous voulez partager “ce que vous avez fait ou omis de faire”…
Sur ce point c’est très clair : j’ai toujours pensé que je n’étais pas coupable de ce dont on m’accusait, à savoir avoir fait obstacle à la justice. Bien au contraire, j’ai toujours encouragé les victimes à porter plainte. En revanche, j’ai toujours reconnu mes erreurs. Comme celle, quand on m’a parlé pour la première fois de l’affaire Preynat, de ne pas avoir trop voulu l’entendre. Ensuite, quand j’ai rencontré Bernard Preynat, je n’ai pas exigé de lui qu’il me fasse immédiatement un compte rendu des faits. Je serais allé alors frapper à la porte de la Conférence des évêques de France, j’aurais obtenu une réponse. Pourquoi n’ai-je agi qu’à partir de 2014, lorsque j’ai rencontré pour la première fois une victime ? Cet homme m’a expliqué ce qui s’était passé. Je lui ai demandé s’il acceptait d’écrire les faits. Avec un document précis, on pouvait alors aller frapper à la porte de Rome et demander ce qu’il fallait faire, même si ces faits si graves ne pouvaient plus être jugés par la justice française en raison de leur ancienneté. Une fois ces faits portés à notre connaissance, ils étaient tels que nous ne pouvions pas nous retrancher dans le silence. C’est ce que nous avons fait. Rome l’a reconnu : “C’est ancien certes, mais c’est très grave”. C’est pourquoi nous avons retiré tout ministère à Bernard Preynat. Pourquoi cela n’avait pas été fait avant ? Pourquoi moi-même, qui ai demandé son témoignage à une victime dès que je l’ai rencontrée, ne l’ai-je pas exigé de Bernard Preynat dès que j’ai eu connaissance des faits ? C’est une erreur, je le reconnais.

Vous replacez les faits dans le contexte de l’époque, lié à une attitude générale. C’est-à-dire ? 
Au fond, on s’aperçoit que ce qui est arrivé se passait à peu près partout. Les gens savaient. De telles affaires survenaient ailleurs, dans le patinage artistique, dans les milieux médicaux… Les gens savaient mais ne disaient rien. On s’aperçoit qu’il y avait une attitude générale à l’époque qui était fautive. Je n’ai aucune difficulté à reconnaître que je n’ai pas fait comme j’aurais dû faire. En revanche, quand j’ai rencontré une victime qui a eu le courage de venir me voir et qui m’a raconté les faits, je lui ai demandé si elle accepterait de témoigner. Une semaine plus tard, j’avais son récit.

Mes erreurs, je les ai reconnues dans la cathédrale, dans les journaux et devant la justice. Mais ce qui m’était reproché par la justice française, je ne me considère pas comme coupable. La Cour d’appel l’a reconnu : je n’ai jamais fait obstacle au travail de la justice.

D’autre part, les faits dont on me parlait étaient tous prescrits par la justice française. Mais je me suis alors dit qu’il fallait chercher d’autres victimes plus jeunes qui pourraient porter plainte, avant d’être atteint par la prescription. Et on en a trouvé. Dès lors, des procès ont pu avoir lieu. Le droit canonique est différent du droit français. On peut demander au Pape qu’il lève la prescription lorsqu’il s’agit de faits très graves. C’est ce que je lui ai demandé, pour toutes les personnes qui avaient été agressées par Bernard Preynat. Le Pape a accepté. Toutes les victimes ont eu droit à un procès canonique. Ce qui est quand-même un point positif. Mes erreurs, je les ai reconnues dans la cathédrale, dans les journaux et devant la justice. Mais ce qui m’était reproché par la justice française, je ne me considère pas comme coupable. La Cour d’appel l’a reconnu : je n’ai jamais fait obstacle au travail de la justice.

Dans votre livre vous revenez longuement sur les témoignages des victimes de Bernard Preynat. Vous dites que leurs cris reviennent dans votre prière. Comment ?
Leurs cris sont incrustés dans ma chair. La première chose que je fais chaque matin, après le signe de la croix, est de lire la liste des victimes que j’ai rencontrées pour les confier au Seigneur. Leurs noms sont écrits sur une carte que je retrouve chaque matin dans mon bréviaire.

C’est en lisant les psaumes, derrière certains versets, que je vois le visage d’une victime dans sa souffrance, dans ses blessures, sa révolte, son désarroi…

C’est en lisant les psaumes, derrière certains versets, que je vois le visage d’une victime dans sa souffrance, dans ses blessures, sa révolte, son désarroi… Ma prière a changé et en particulier dans la lecture des psaumes. Je ne les avais jamais compris de cette façon. Sans que cela signifie que j’ai pu comprendre toutes les souffrances des victimes, mais je pense que les psaumes m’ont permis de les rencontrer plus personnellement.


MGR BARBARIN
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Après des années de tourmente médiatico-judiciaire, quel homme êtes-vous aujourd’hui ?
Je suis un prêtre qui doit offrir sa vie comme une offrande ou un sacrifice. Ma vie d’aujourd’hui est donnée pour que la guérison par Jésus se fasse, parce qu’Il est le Sauveur et que son salut doit arriver.

Vous écrivez que vous avez failli vous effondrer. Qu’est-ce qui vous a aidé à tenir bon ?
Une des choses qui m’a le plus aidé, c’est la prière des autres. C’est vrai que j’ai été souvent apostrophé, sur les quais du métro ou dans une gare. Mais en même temps, il m’arrive de croiser des personnes dans la rue qui me disent leur soutien et leur prière pour moi, ce qui signifie qu’ils portent cette souffrance avec moi. Je savais que je pouvais m’effondrer dans le quart d’heure, ou le lendemain, à tout moment… C’est surtout la prière des autres qui m’a permis de tenir debout.

Aumônier des Petites Sœurs des Pauvres, vous vivez maintenant en Bretagne, quel est votre quotidien aujourd’hui ?
Je vis quelque chose de nouveau. Je vis avec des religieuses, je réponds à leurs demandes, je les confesse, je leur dis la messe. Une équipe Notre Dame m’a demandé de les accompagner, un groupe de scouts aussi. J’ai des demandes d’accompagnement spirituel. Petit à petit, les gens viennent frapper à ma porte. Mgr d’Ornellas (archevêque de Rennes, ndlr) m’a fait un beau cadeau de confiance quand il m’a demandé de donner des cours au séminaire de Rennes. J’y donne des cours tous les mardis, c’est beaucoup de travail. Il faut que je m’adapte, que je trouve un nouveau rythme, ce n’est pas gagné d’avance bien sûr.

Avez-vous une attente ou un espoir particulier avec la publication de votre livre ?
J’aimerais qu’il dise les vérités et les souffrances qui n’ont pas été entendues. Il y a eu une attaque juridique très forte, compréhensible en raison des souffrances des victimes. On s’est mis à accuser l’Église de n’avoir rien fait, d’avoir pratiqué l’omerta, etc… Et nous dans tout ça ? Mettez-vous à notre place. Regardez comment des faits semblables ont été traités dans d’autres circonstances ou d’autres pays. Ne dites pas qu’on a rien fait. Certes, nous avons commis des erreurs, mais nous avons maintenant, sur de tels actes, une attention majeure. Nous reconnaissons les injustices et les offenses très graves dont souffrent les victimes d’abus sexuels. C’est un livre pour expliquer que l’Église aujourd’hui sait comment agir, ce qui n’a pas toujours été le cas auparavant.

Comment avez-vous compris, sur un plan plus personnel, un sens à l’épreuve que vous avez vécu ?
Symboliquement, il était important que je perde ma charge et que je la remette. Il fallait que quelqu’un porte le poids des blessures énormes où l’Eglise avait sa responsabilité. Ce poids, je l’ai accepté.

En mon âme et conscience, par le cardinal Philippe Barbarin

Plon

“En mon âme et conscience : l’affaire, l’Eglise, la vérité d’un homme”, par le cardinal Philippe Barbarin, Plon, octobre 2020.



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