L’Azerbaïdjan et l’Arménie s’affrontent à nouveau pour le Haut-Karabagh, cet autre nom de l’Artsakh, un territoire azéri revenu sous contrôle arménien après la chute de l’URSS. En apportant son “soutien total” à l’Azerbaïdjan contre l’Arménie, la Turquie risque d’enflammer la région.Le conflit a repris en Artsakh entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, secouant une nouvelle fois cette région du Caucase. Dans ce conflit il y a des certitudes, des questions et des inconnues. Des certitudes d’abord. Un conflit gelé n’est pas un conflit éteint. La région est disputée depuis 1991 et la chute de l’URSS entre les deux républiques qui ont pris leur indépendance cette année-là, mais dont chacune a une histoire qui remonte à plusieurs siècles. Comme dans tout conflit gelé il y a, de façon régulière, des escarmouches et des attaques afin de rappeler la réalité du conflit et des tensions. L’attaque est un message envoyé à l’adversaire, lui rappelant que l’on convoite toujours la zone, et un message envoyé à sa population, afin de lui rappeler qu’il faut rester en éveil, car sous la menace d’un ennemi.
Un conflit qui ne peut que durer
L’autre certitude est que ce conflit, comme toutes les guerres de civilisation, ne pourra jamais s’éteindre complètement. Un même territoire est convoité par deux peuples, deux religions, deux histoires. Impossible de trouver un terrain d’entente ni de couper la poire en deux. Comme toute guerre de civilisation, ce type de conflit s’enlise et dure ou se termine par la victoire totale de l’un des belligérants. Compte tenu de l’équilibre des forces entre les deux pays, cette dernière option est peu probable. L’intensité peut varier, allant du très chaud au froid, mais l’objectif de récupérer la région, pour l’Azerbaïdjan, ou de conserver le contrôle du territoire, pour l’Arménie, ne pourra jamais disparaître. Les deux adversaires étant de puissance égale, aucun n’aura les moyens de prendre l’ascendant sur l’autre. Les populations étant mêlées, même si l’Artsakh est très majoritairement peuplé d’Arméniens, il ne peut y avoir de solution au conflit, si ce n’est par la disparition complète de l’un ou l’autre peuple de la région. La purification ethnique, des Balkans au Caucase, est une réalité qui s’est déjà exprimée plusieurs fois au cours du siècle écoulé.
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Que recherche l’Azerbaïdjan ?
Des questions ensuite. Que veut l’Azerbaïdjan qui peut motiver cette attaque ? Remobiliser son peuple en lui rappelant la nécessité de revendiquer l’Artsakh ? Faire oublier les difficultés économiques du pays en portant l’attention ailleurs ? Difficile de savoir tant ce pays est secret. Très peu d’information filtre de la presse azérie et toute communication est contrôlée et verrouillée par le régime.
La Turquie est l’inconnue de ce conflit. Son rôle, son implication, ses motivations, son ascendance sur Bakou demeurent pour l’instant obscurs.
On sait peu de choses de l’état réel du pays, de sa situation économique et sociale. L’Azerbaïdjan est un vieux pays, francophile, dont la première indépendance fut proclamée en 1918 à Paris, et en français. Indépendant entre 1918 et 1920, puis à partir de 1991, l’Azerbaïdjan est tiraillé entre la Turquie, son principal soutien, et l’Iran, chiite aussi. C’est un pays-ville, qui vit grâce à Bakou et au pétrole, un pays qui a besoin de nouveaux débouchés pour se développer et maintenir son rang dans la région.
Quel rôle pour la Turquie ?
La Turquie est l’inconnue de ce conflit. Son rôle, son implication, ses motivations, son ascendance sur Bakou demeurent pour l’instant obscurs. Tout semble à croire qu’il ne s’agit plus d’un conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, mais d’un conflit entre l’Arménie et la Turquie, dont l’Azerbaïdjan est le faire-valoir militaire. Près de 4.000 soldats qui ont combattu côté azéri sont des mercenaires djihadistes ayant combattu en Syrie, rapatrié par les Turcs et financé par eux. Le matériel militaire est également fourni par Ankara qui n’a, depuis le 27 septembre, cessé de proclamer son soutien à Bakou et sa volonté de voir l’Arménie quitter l’Artsakh. Le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Çavuşoğlu, s’est rendu à l’ambassade d’Azerbaïdjan en Turquie et y a réitéré le “soutien total” d’Ankara à Bakou. “Nous sommes aux côtés de l’Azerbaïdjan tant sur le terrain qu’à la table des discussions. Nous voulons désormais éradiquer ce problème”.
Les journaux turcs soutiennent l’attaquant de l’Azerbaïdjan et la position du gouvernement Erdogan. Une Turquie qui multiplie les offensives depuis plusieurs mois : en Libye, à Chypre, en Méditerranée orientale et désormais dans le Caucase. L’attaque contre l’Arménie ne serait-elle pas une façon de faire oublier le relatif échec contre la Grèce, un moyen de détourner l’attention de sa population ? La résolution du conflit ne passe pas par Bakou, mais par Ankara. Et aussi par Moscou et Téhéran, soutiens habituels de l’Azerbaïdjan, qui n’ont aucune envie de laisser le conflit empirer.
L’Europe inaudible
Dernière inconnue enfin, la réaction de la France et de l’Union européenne. Passive dans les tensions en Méditerranée, qui concernent pourtant deux de ses pays membres, l’Europe est de nouveau inaudible dans le conflit qui débute. La Turquie le sait, qui profite de cette atonie pour avancer ses pions et reconstruire son empire. Beaucoup d’inconnues donc, à résoudre pour mettre un terme à une situation dont la purulence menace toute la région.