Visages de missionnaires (2/5). “Allez donc ! De toutes les nations faites des disciples”, nous dit l’Évangile de Matthieu. Asie, Amérique, Afrique, Europe… Chaque continent est terre de mission. Durant le mois d’août, Aleteia vous propose de découvrir différents visages de missionnaires. Découvrez aujourd’hui sœur Rébecca et sœur Clotilde, en mission dans un quartier populaire de Buenos Aires (Argentine). Des rues en terre battue, des vendeurs de churros, d’autres qui vendent des produits d’hygiène et des serpillières, des maisons bigarrées aux façades bleues, vertes, violettes, un autobus qui passe à quelques mètres à grands coups de klaxon… C’est là, dans ce quartier populaire de Laferrere, dans la banlieue de Buenos Aires (Argentine) que vivent sœur Rébecca et sœur Clotilde, petites sœurs de l’Agneau. Les hermanitas – “petites sœurs” en espagnol – habitent avec trois autres religieuses. Françaises toutes les deux, elles sont arrivées en Argentine il y a trois ans pour la première, et dix mois pour la deuxième. Dans leur barrio – quartier, en espagnol –, les rues sont organisées en cuadras, des carrés qui équivalent en quelque sorte aux pâtés de maison français. “Il y a beaucoup de vie”, note sœur Rébecca, qui décrit les vendeurs faisant du porte-à-porte, les annonces au haut-parleur, les charrettes tirées par des chevaux, les quincailleries bourrées à craquer d’objets en tous sens. Les maisons, souvent rudimentaires, sont assez basses, avec des toits plats permettant aux habitants d’étendre leur linge. Si certaines sont faites de tôle et de bois, la plupart sont en briques. Les inondations sont courantes et dès qu’il pleut – et c’est fréquent -, les eaux usées des maisons défilent ni plus ni moins dans la rue. Grâce à la pluie, arbres et fleurs contribuent à semer de la gaieté dans le barrio.
Avec un climat chaud et humide l’été, froid et humide l’hiver, ce n’est pas évident de s’acclimater, reconnaît en riant sœur Clotilde, la dernière arrivée. “La chaleur est accablante au début. On n’est vraiment pas habitué à cette humidité et cela demande de lutter beaucoup”, concède-t-elle. Une réalité atmosphérique qui elle aussi fait partie de la mission, avec un climat très différent de ce qu’elle a pu connaître en France. “Au milieu de ces conditions difficiles, les gens ont le cœur tourné vers les autres”, renchérit sœur Rébecca. “C’est un peuple très joyeux et très solidaire, certains sont plutôt dans la survie. Il y a à la fois une pauvreté et une simplicité de cœur qui se suffit de ce qu’il y a”.
“Ici, il y a deux plaies : la drogue et le vol”, ajoute-t-elle. “Les vols sont beaucoup liés au fait que les gens doivent survivre. Les maisons ont toutes des grilles aux portes et aux fenêtres car les voleurs prennent jusqu’à la brouette rouillée. Cela crée une grande peur et cela renforce la misère”. Il n’est pas rare de croiser une famille qui a perdu l’un des siens à cause d’une raison sordide. Autre problème, le trafic de drogue, qui fait des ravages. Certains jeunes n’ont pas d’autre horizon de vie. L’alcool est également très présent. De plus, les sectes, comme l’Umbanda, une “religion” afro-brésilienne qui utilise la magie noire, font de nombreuses victimes. “Mais les gens restent joyeux”, souligne sœur Rébecca. À présent confinés depuis cinq mois, de nombreux Argentins de ce quartier populaire ont dû se trouver de petits métiers en urgence afin de survivre. “Ils sont debout dans l’épreuve et il y a un grand esprit de créativité”, s’émerveille-t-elle. “Malgré toutes ces difficultés, l’esprit de famille est encore là. Ce sont de belles familles”.
Cela fait 30 ans que les petites sœurs de l’Agneau sont présentes dans le quartier. Alors qu’elles habitaient au début dans une simple maison, elles ont entrepris à l’automne dernier de bâtir un petit monastère afin de pouvoir accueillir plus largement encore les gens du quartier. Chaque matin, “nous essayons de nous lever le cœur joyeux pour un office à 6h30”, explique sœur Clotilde. Suivent un temps d’adoration, le petit-déjeuner et la vaisselle, puis un temps d’étude personnelle.
“On se laisse totalement faire pour la rencontre. Cela prend le temps que ça prend.”
Après la messe en milieu de journée, vient le temps de la mission. Par groupes de deux ou trois, les hermanitas se mettent en route avec leur kit mendicité constitué d’un petit sac à dos, d’une bouteille d’eau (parfois vide) et d’un tupperware, pour aller mendier leur déjeuner. C’est cela, leur mission. Elles partent en priant et se laissent conduire au gré des rues et des rencontres, glanant ici ou là un empanada (petit chausson farci) ou une milanesa, variante de l’escalope panée milanaise, qui sont souvent prétextes à l’échange.
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“On se laisse totalement faire pour la rencontre. Cela prend le temps que ça prend”, note sœur Clotilde. “Nous n’avons pas quadrillé le quartier”, s’exclame sœur Rébecca. “Une chose qui nous porte énormément, c’est l’Évangile que l’on apprend par cœur pour que ce soit la parole de Dieu qui sorte de notre bouche, et non une idéologie. Pour nous, la vie de prière n’est pas séparée de la vie de mission”, insiste-t-elle. “Ce que l’on découvre dans la vie de prière illumine notre mission. C’est une Parole qui devient réelle et qui nourrit notre mission”, ajoute sœur Clotilde. “Ensuite, d’autres situations de la journée lui donnent un écho. C’est comme un collier de perles. La première perle, c’est l’Évangile du jour et les événements sont comme des échos”.
Tantôt les hermanitas montent dans un bus et descendent quelques stations plus loin, tantôt elles profitent d’un déplacement à l’occasion d’une démarche administrative pour découvrir un autre quartier. “Nous lançons Hola ! Hola !, nous frappons dans les mains et nous demandons pour le repas de midi. Nos demandes sont très simples, très concrètes. Tout se fait dans le contact. Les questions arrivent au fur et à mesure. Les gens déposent très vite une difficulté, demandent une prière. Ce n’est pas rare de prier à la grille”.
Nous vivons de ce que nous recevons. Les hermanitas comparent la générosité de leurs voisins avec celle de la pauvre veuve dans le Nouveau testament (Lc 21, 2-4). “Ils ont ce qu’il faut et ils donnent de leur “ce qu’il faut”, de leur repas tout chaud. Cela leur coûte”. Elles se souviennent d’une mère de famille rencontrée dans le bus qui leur a demandé une prière d’intercession pour sa fille en plein milieu d’un carrefour. Le fait qu’elles soient en habit n’est pas étranger au fait que les gens les abordent. “C’est l’occasion de demander des choses à Dieu directement. Cela provoque ce qu’ils ont au plus profond de leur cœur. C’est poignant. Les gens nous ouvrent leurs cœurs et nous racontent toutes leurs misères. C’est comme une porte du Ciel pour eux”, note sœur Rébecca. Cette mission de consolation, c’est la première de leurs missions. “Nous nous sentons très petites devant bien des situations et parfois, nous nous émouvons avec les gens. Nous n’avons pas de recette de consolation. Mais l’essentiel n’est pas de trouver une solution, c’est que Dieu puisse se servir de nous pour rencontrer son peuple”.
Elles évoquent avec tendresse Maria, une de leurs voisines, qui a perdu un fils tragiquement et dont plusieurs enfants sont malades psychiques. Elle vit très pauvrement et la semaine dernière, sa fille et elle ont coupé et vendu leurs cheveux pour amasser un peu d’argent. “À croire qu’ils enchaînent les catastrophes ! Et pourtant, la maman nous remet debout, elle nous tient des discours de prophète. On se demande d’où elle tire tout cela. C’est un Évangile vivant”, souligne sœur Clotilde. L’un de leurs leitmotivs est “oser l’impuissance”. “De par notre mission, nous sommes amenées à rencontrer des gens de différents niveaux sociaux, métiers… ce qui nous permet de faire des ponts entre des mondes qui s’ignorent. Face à une situation difficile, il nous est parfois possible de mettre en lien des gens quand l’Esprit saint nous le montre. Mais faire des ponts ou être démunies, c’est en fait la même mission d’intercession et de consolation. La raison humaine voudrait toujours tout solutionner. Mais nous devons avoir l’humilité de laisser Dieu agir lui-même”.
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