D'après Goethe, la musique de Bach donne l'impression "d'assister aux entretiens de Dieu avec lui-même juste avant la Création". Ces quelques mots souvent répétés rapportent bien la réalité de la puissante maîtrise technique du maître de Leipzig, alliée à la virtuosité de ce génie musical imprégné du Christ jusqu'au plus intime de son être. Jean-Sébastien Bach, en effet, a porté à son paroxysme l’offrande de la musique au service de la gloire de Dieu, dans une Allemagne protestante et musicale dont il était le pur produit.
Né en 1685 à Eisenach, au cœur de la Thuringe, dans les États du prince électeur de Saxe, province ardemment luthérienne, Jean-Sébastien Bach est fils, petit-fils, neveu, frère et cousin de musiciens. Le premier Bach mentionné dans la province, Veit Bach, meunier venu de Hongrie au XVIe siècle pour vivre librement son adhésion à la Réforme protestante, était déjà musicien à ses heures, rapporte la chronique familiale. Jean-Sébastien, pour sa part, fut comme le sommet de six générations de musiciens aux talents honorables pour la plupart, géniaux quant à lui. Aussi fut-il baigné de musique dès le berceau.
Un travailleur acharné
Orphelin dès les débuts de l'adolescence, Jean-Sébastien bénéficie du réseau des Bach, maîtres de chapelle, musiciens dans les cours nobiliaires ou organistes d'églises importantes. Il loge chez son frère aîné, avec lequel il développe sa maîtrise musicale, malgré l'interdiction d'accéder librement aux cahiers de partitions de celui-ci. Se frottant à toutes les œuvres disponibles, touchant de plusieurs instruments et notamment de l'orgue, exerçant sa voix, c'est par un travail acharné que Jean-Sébastien déploie progressivement les bases de son génie. Lorsqu'on vantera, plus tard, son immense talent, il le rapportera, humblement, toujours, au travail quotidien qu'il a mené depuis la sortie de l'enfance, développant une maîtrise encyclopédique de la musique de son temps, dans la pratique jouée que dans la théorie musicologique.
Musicien de la piété du quotidien
Les années suivantes, à partir de 1700, voient sa carrière prendre son essor. Il étudie et chante à Lüneburg, puis sert le duc de Weimar, tient les orgues d'Arnstadt puis de Mülhausen, dans sa Thuringe natale, devient maître de chapelle du prince d'Anhalt-Költhen, et se fixe enfin à Leipzig, en 1723, à proximité de la cour princière saxonne de Dresde. Leipzig est, à ce moment, considéré comme un petit Paris, d'après Goethe. Ville d'étudiants, de savoirs, de piété, imprégnée par l'esprit luthérien, elle devient le port d'attache de Jean-Sébastien, qui y exercera plusieurs charges jusqu'à sa mort.
Maître de chœur des églises Saint-Thomas et Saint-Nicolas, il tient les orgues, forme les choristes et les musiciens et compose avec une grande fécondité pour la vie liturgique de la ville, créant des œuvres pour les offices des heures, les messes, les fêtes liturgiques, mais aussi pour accompagner la piété du quotidien des fidèles, mettant en musique par exemple des prières composées par Luther. L'œuvre profane, pour clavecins ou pour violoncelles et orchestre n'est jamais éloignée également, rapportent ses biographes, d'une inspiration religieuse, tirée de la méditation de la vie du Christ.
Marié, veuf, marié une deuxième fois, Jean-Sébastien subvient, grâce aux revenus tirés de ses charges, aux besoins d'une très nombreuse descendance. Vivant d'économie, il mène une vie simple, presque ascétique, donnée au travail dans la joie, qui convient parfaitement à son tempérament de croyant.
Un perfectionniste sourcilleux
Certes, tout n'est pas idéal et si Jean-Sébastien consacre son œuvre à la gloire de Dieu, c'est aussi un perfectionniste sourcilleux, qui accorde lui-même ses instruments et n'hésite pas rudoyer les musiciens à son service dès lors qu'ils ne parviennent pas à suivre le rythme du maître. Souvent appelé à se prononcer sur des choix d'organistes à Leipzig et dans les environs, sa franchise implacable lui crée également des inimitiés jusqu'à l'université de la ville. Qu'à cela ne tienne. Il est, en Allemagne du nord, un personnage sacré de la musique. Frédéric II de Prusse, lui-même bon musicien et compositeur à ses œuvres, n'a de cesse de vouloir attirer le "vieux Bach" à sa cour de Potsdam. L'un des fils de Jean-Sébastien composant et jouant pour le roi de Prusse, le souverain parvient, au soir de la vie du grand homme, à le faire venir jusqu'à lui pour quelques jours.
Comme d’autres génies de la musique, comme Mozart, Jean-Sébastien est enterré au milieu des plus pauvres, et nulle trace ne subsiste de sa sépulture.
La vieillesse de Jean-Sébastien prend, cependant, des allures de déclin. La dernière décennie est marquée par une lente perte de la vue, des opérations ratées de la cataracte, jusqu'à la cécité complète, avec un recouvrement miraculeux de la vision, quelques jours avant de mourir d'une crise d'apoplexie, le 28 juillet 1750.
La misère et la gloire
Les revenus de Jean-Sébastien étaient engloutis par les nécessités du quotidien de son abondante famille. Le compositeur mort, il n'y a pas même d'argent pour lui payer les services d'un prédicateur et une tombe décente. Comme d'autres génies de la musique, comme Mozart, Jean-Sébastien est enterré au milieu des plus pauvres, et nulle trace ne subsiste de sa sépulture. Pis encore ! Ses fonctions laissées vacantes sont immédiatement pourvues par les autorités de Leipzig et son œuvre musicale, pieusement conservée par quatre de ses enfants devenus musiciens, n'est plus guère jouée. Au commencement du XIXe siècle, il ne lui reste qu'une fille, qui survit dans la misère. Une collecte de dons permet de combler son extrême vieillesse. Le nom de Jean-Sébastien Bach évoque alors encore quelque chose aux oreilles averties. On remarque notamment parmi les donateurs un jeune et brillant compositeur, un certain Beethoven.
Ce n'est qu'à la fin des années 1820 que Mendelssohn parvient à faire redécouvrir l'œuvre musicale de Jean-Sébastien, lui rendant alors une gloire que saluèrent tous les compositeurs allemands du XIXe siècle, à commencer par le grand Wagner. Cette gloire n'a pas cessé depuis, pour le plus grand bonheur des hommes de bonne volonté.