Gauthier et Constance, fraîchement mariés et en quête d’une vie pleine de sens, sont partis en volontariat à Addis-Abeba, en Éthiopie, avec l’Oeuvre d’Orient. Leur mission se déploie dans la communauté Saint Jean implantée dans la ville. En pleine période de crise sanitaire, leur séjour aurait pu avoir raison de leur enthousiasme. Mais pour eux, tout est grâce. En effet, la capitale éthiopienne Addis-Abeba subit elle aussi l’épreuve du confinement depuis mi-mars, et s’attend à un pic d’épidémie le mois prochain malgré la chaleur. Pour autant, la population demeure fidèle à elle-même. Très spirituelle de tradition, elle continue de se confier à la prière en dépit de la peur. Témoignage.
Aleteia : Vous êtes à Addis-Abeba depuis la mi-mars, début de la période de confinement. Dans quel contexte êtes-vous arrivés ?
Gauthier et Constance de Montgrand : Nous sommes partis au moment de l’annonce du confinement en France et avons évité à l’arrivée la quarantaine de rigueur, nous contentant de rester au prieuré les quinze premiers jours. Les réglementations n’ont pas tardé à arriver : renvoi des passagers, blocage à l’entrée des frontières, quarantaine obligatoire dans des hôtels désignés par l’État, etc. Il n’y a pas de confinement comme on l’entend en Europe, rendu impossible à cause de l’exiguïté des logements de la majorité de la population et de la précarité des travailleurs qui survivent au jour le jour. Les mesures passent par des gros coups de communication, annoncés en pleine rue par haut-parleur. Ils ont installé des lavabos tous les 100 mètres, il est interdit de sortir dans la rue sans son masque, les effectifs sont réduits de moitié dans tous les transports et l’école est suspendue depuis début mars. Tout le monde respecte les mesures à cause de la crainte de l’avènement du pic à la saison des pluies, favorable à la transmission des virus, le mois prochain.
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Depuis le confinement, quelles conséquences avez-vous observé dans la population ?
Ici, la population a eu très peur au début et a immédiatement respecté toutes les mesures imposées, alors qu’il n’y avait que trois ou quatre cas par jour. Aujourd’hui, les chiffres sont montés entre 150 et 200 cas par jour et le poids des mesures, nécessairement prolongées dans le temps, se fait sentir. Le confinement va sans doute durer jusqu’en septembre. À Addis-Abeba, nous ne ressentons pas encore le poids de la perte économique, mais en dehors de la ville c’est très dur, puisque les chantiers ont été mis en pause par le gouvernement. Ceux qui vendaient des denrées sur la route ont perdu leur travail car très peu de personnes se déplacent. C’est également très difficile pour le domaine touristique, qui représente environ 20% des revenus du pays.
Le gouvernement octroie-t-il des aides financières, et quel est l’état du système de santé ?
Les gens ont globalement l’impression d’être abandonnés. Il y a beaucoup de communication là-dessus, mais les mesures concrètes ne suivent pas forcément, en dehors de quelques points de collecte pour la nourriture (pâtes, riz, huile, etc.), ensuite distribuée. Au niveau de la mobilisation nationale, certaines grosses entreprises ont fabriqué des masques et des gels hydroalcooliques pour les distribuer et les écoles organisent aussi des collectes et dons de nourriture.
“La population préfère se tourner vers la prière, aller à l’église, plutôt que d’aller à l’hôpital.”
Les hôpitaux sont déjà surchargés, alors que nous sommes à peine à 200 cas journaliers et à une soixantaine de morts. Ensuite, il n’y a pas assez de médecins en Éthiopie, c’est un fait avéré. Puis, étant très religieuse, la population préfère se tourner vers la prière, aller à l’église, plutôt que d’aller à l’hôpital. S’ils sont malades et meurent, selon eux, c’est la volonté de Dieu. En tout, l’Ethiopie compte 63% de croyants. Il y a à peine 1% de catholiques, la population est majoritairement orthodoxe à 45% et les 20% restants sont musulmans.
En quoi consiste votre mission sur place et, compte tenu de la situation, pouvez-vous la mener à bien ?
Nos tâches sont diverses. Nous donnons des cours de français et d’anglais aux deux postulants éthiopiens, nous montons des dossiers pour trouver des fonds pour d’autres missions à Addis-Abeba, et nous traduisons des archives pour les Filles de la Charité de la rue du Bac sur leurs actions dans le pays. Entre temps, nous avons repris la mission d’autres volontaires pour s’occuper du chantier de la construction d’une chapelle de la Communauté Saint Jean.
Comment est accueillie la communauté Saint Jean dans ce pays, dans lequel les catholiques sont très minoritaires?
Les frères de la Communauté Saint Jean sont à Addis-Abeba depuis une dizaine d’années. Ils ont monté un réseau avec toutes les communautés religieuses et ont des responsabilités dans la ville, puisqu’ils s’occupent du diocèse en collaboration avec le cardinal. Compte tenu de leurs moyens, ils ont une action très bénéfique auprès des autres communautés, qu’ils supportent actuellement selon leurs besoins.
“Tous les jeudis, nous avons une nuit d’adoration avec de jeunes Éthiopiens qui restent alors dormir sur place.”
Les frères de la Communauté Saint Jean réalisent des activités pour les enfants, ont organisé des distributions de repas pour Pâques et sont responsables de l’École de Vie. Tous les jeudis, nous avons une nuit d’adoration avec de jeunes Éthiopiens qui restent alors dormir sur place. Ici, la religion catholique est souvent associée au colonialisme des Italiens ou des Portugais, ce qui suscite la méfiance. Mais les frères de Saint Jean font énormément de bien autour d’eux et sont très appréciés dans le quartier. Ils ont, tout comme l’Oeuvre d’Orient, une belle aura dans le pays.
Quelles est leur action spécifique à la situation du confinement ?
Nous avons acheté environ 1.000 masques depuis le début, que l’on distribue à tous ceux qui nous aident ou que l’on croise. Ils visitent beaucoup les familles en temps normal, mais du fait du confinement ils leurs apportent en plus la communion. Depuis peu, malheureusement, certaines personnes refusent leurs visites par peur du virus. La crainte des frères est que cette situation éloigne la population de la foi et de la pratique religieuse. Les messes francophones ont enfin repris récemment, car le manque commençait à se faire sentir. Malgré les circonstances, il faut apprendre à vivre avec le coronavirus et continuer à aller à la messe.
Comment vivez-vous le fait de vivre cette mission imprévue dans ce contexte singulier ?
Nous avons eu beaucoup de chance de pouvoir partir. Nous nous sommes mariés il y a neuf mois et avions vraiment le projet de partir en volontariat pour commencer cette vie. Nous découvrons un pays chrétien magnifique, assez peu connu, car les chrétiens d’Orient sont en général associés à d’autres pays. Il est très riche aux niveaux artistique, littéraire et culturel. Comme les personnes circulent moins, nos quelques rencontres sont davantage de qualité car nous avons le temps d’être présents. Cette mission est une vraie grâce. Le fait de construire une chapelle, car les gens sont en demande, nous interpelle dans notre foi. En France, elles sont nombreuses mais de plus en plus vides. Ici, c’est tout l’inverse. Cela nous montre que la foi n’est pas morte, au contraire. Spirituellement, nous avons la chance d’avoir la messe et l’adoration tous les jours malgré le confinement. Et nous saurons tirer profit de cette expérience à notre retour en France.
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