Le pays du Cèdre est plongé dans une crise économique sans précédent. La révolte gronde contre la corruption et le pillage systématique. L’année du centenaire de la proclamation par la France de l’État du Grand Liban, le philosophe franco-libanais Antoine Assaf, partisan du général Aoun, s’interroge sur l’opportunité d’un gouvernement de salut public.Depuis Nietzsche, nous savons que les révolutions comme les pensées marchent, avancent et mènent le monde « à pattes de colombes ». Ainsi, depuis un siècle, le Liban passe par des révolutions qui risquent de le faire disparaître comme peuple dans son identité et comme nation dans ses frontières naturelles. Il est semblable en cela à un phénix qui renaît toujours de ses cendres et étonne le monde entier par la force de sa résilience.
Au début du XXe siècle et après la Première guerre mondiale, la révolution permanente contre les Turcs à l’ombre de l’Empire Ottoman avait duré plus de quatre siècles en provoquant la famine, la mort et la dispersion des Libanais dans le monde entier. Une diaspora naquit dans tous les continents, fruit d’une résistance contre la cruauté des sultans d’Istanbul et la lâcheté des frères ennemis. C’est à cette époque que l’État du Grand Liban fut proclamé le 1er septembre 1920, avec l’appui de la France. Bien que pays millénaire, le Liban fête cette année le centenaire de la naissance du Liban moderne.
Une longue suite de guerres et de révolutions
Puis il y eut la révolution de Nasser en 1958 : ce nationalisme arabe venu d’Égypte voulait exacerber les instincts communautaires que le Liban avait pourtant essayé de tempérer en les adaptant au moule d’une constitution républicaine parlementaire instaurée par la France, sa « tendre mère », avec la volonté générale d’unifier toutes les forces religieuses et politiques du pays. Le génie politique d’un président charismatique comme Camille Chamoun sauva le Liban du chaos de la région qui commençait à vivre ses premières guerres perdues avec Israël.
C’est autour de la figure légendaire de Bachir Gemayel que le Liban tenta de créer une nouvelle unité nationale, impossible devant le drame des réfugiés palestiniens, l’occupation syrienne et la recherche simultanée d’un accord de paix avec Israël…
Une autre révolution va suivre en 1975, qui prendra la forme d’une guerre multiple, politique, religieuse et même civile, qui poussera la majorité des chrétiens à chercher une alliance pour la guerre et pour la paix avec Israël afin de se débarrasser de l’emprise étouffante d’Arafat et de son organisation cherchant à libérer la Palestine en asservissant le Liban. C’est alors que la majorité des musulmans renforcèrent leur alliance avec la Syrie. Et c’est autour de la figure légendaire de Bachir Gemayel que le Liban tenta de créer une nouvelle unité nationale, impossible devant le drame des réfugiés palestiniens, l’occupation syrienne et la recherche simultanée d’un accord de paix avec Israël. L’assassinat de Bachir rendra presque inévitable la mainmise de la Syrie sur la terre libanaise.
La révolte avortée de 1988
Puis il y eut la révolution de 1988 menée par le général Aoun pour libérer le Liban de cette occupation. Cette fière révolte était nécessaire et urgente pour la survie du pays : elle fut ajournée par le monde politique qui décida d’exiler le chef à l’origine de cette dynamique nationale après une bataille féroce qui l’opposa aussi bien aux Syriens qu’aux Forces Libanaises et au Patriarche maronite Sfeir. Ces derniers préférèrent la négociation d’un accord de retrait avec la Syrie plutôt qu’une guerre de libération totale par les armes.
Le général Aoun revint au Liban après l’assassinat du Premier ministre Rafik Hariri, surprenant le monde entier par la force de sa résilience.
Aujourd’hui le Liban vit les conséquences de cette guerre de libération qui fut ajournée plus de quinze ans jusqu’à 2005 pour suivre et respecter les conjonctures internationales. Cette période fut aussi celle du temps de l’exil pour le général Aoun qui revint au Liban après l’assassinat du Premier ministre Rafik Hariri, surprenant le monde entier par la force de sa résilience et par la complexité imprévisible de ses alliances aussi bien avec le Hezbollah pour éviter une guerre civile et assurer sa victoire au parlement, qu’avec les Forces Libanaises pour confirmer son élection à la présidence.
Le retour du général Aoun
L’élection du général Aoun en 2016, qui obtint la grande majorité des voix du pays, fut aussi une sorte de révolution consensuelle. Octogénaire, il fut toutefois élu à l’âge où il aurait dû être le grand sage qui conseille son peuple plutôt que le chef qui subit la révolution inattendue d’une jeune génération n’ayant pas connu sa fougue et sa résistance légitime quand il rassemblait autour de lui les forces vives d’un peuple occupé qui exigeait autrefois sa libération !
Il y a dans le personnage du général Aoun une destinée semblable à celles des héros des tragédies shakespeariennes.
Il y a dans le personnage du général Aoun une destinée semblable à celles des héros des tragédies shakespeariennes. Le voilà entouré de personnages, amis et ennemis, qui partagent et révèlent les crises de son existence, comme des miroirs, avec le cercle de sa famille proche et de ses héritiers : certains sont aimés et encensés comme des héros par le peuple, et d’autres rejetés comme des chefs politiques ambitieux et sans charisme. C’est ainsi que les voient les jeunes révoltés de la nouvelle génération qui refuse l’idolâtrie qui étouffe leur liberté.
L’heure de vérité
Aujourd’hui, sonnent les cloches de l’heure de vérité pour le Liban et le monde qui le regarde. Les cloches sonnent aussi pour le général Aoun. Car on l’a accusé de se comparer à Napoléon ou au général de Gaulle !
Or c’est maintenant que le général-président se trouve au carrefour des deux dernières batailles qui décideront de sa destinée et de celle du Liban…
Or c’est maintenant que le général-président se trouve au carrefour des deux dernières batailles qui ont marqué ces personnages historiques, ces batailles qui décideront de sa destinée et de celle du Liban, dont il est le douzième président depuis l’Indépendance, un siècle après sa naissance comme État moderne. La première, c’est Waterloo : il lui faut concilier les extrêmes de ses alliances et permettre aux forces armées et aux forces morales du pays de s’unir sous peine d’être abandonné dans la « morne plaine » et d’être condamné à un nouvel exil lointain, dans une autre Sainte-Hélène où il ne lui restera plus qu’à méditer sa défaite et écrire ses mémoires. La deuxième est celle de « Mai 68 »: il lui faut retrouver et se faire entendre d’une jeune génération qui n’est pas la sienne du point de vue de l’âge mais qui l’est entièrement dans la cause juste qu’elle mène dans sa révolte contre la corruption et le pillage systématique de ce pays. C’est un combat qu’il a mené depuis toujours.
Vers un gouvernement de salut national ?
Le général Aoun gagnera-t-il là où Napoléon et De Gaulle ont perdu ? Une option serait qu’il retrouve son âme de soldat, cette âme qu’il n’a certainement pas perdue, afin d’œuvrer à la formation d’un gouvernement militaire de salut national dans lequel les généraux de tout le Liban unissent leurs forces. Ils pourraient unir leurs forces, non pas pour mater des révoltés à qui l’on a arraché le droit de vivre, de travailler en les laissant respirer l’air pollué de leur pays, mais pour réaffirmer avec justice les droits et les fortunes du peuple libanais spoliés par les mains même de ceux qui l’ont gouverné par la ruse, le vol et le mensonge.
Cette option est pour l’instant un rêve — mais qui ne rêve pas dans un pays qu’un Dieu jaloux a voulu si proche de la Terre Sainte ? Car il faut oser rêver que le Liban, qui traverse aujourd’hui cette période de son histoire comme un vaisseau fantôme, surgisse sous le soleil de l’Orient au lieu de disparaître dans la nuit ; et qu’il ressuscite dans la lumière pour désespérer ceux qui veulent sa mort, étonner ceux qui attendent son retour, réjouir ceux qui l’aiment et renforcer ceux qui croient en lui !
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