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Le cardinal Hercule de Fleury, principal ministre du roi, et son souverain Louis XV pensent-ils, ce 24 mars 1730, poser un point final à la querelle janséniste ? En proclamant loi de l’État la constitution Unigenitus, présentée en bulle papale au parlement de Paris et si difficilement adoptée en 1713, ils vont pourtant marquer un coup d’arrêt décisif au mouvement.
Tout semble étrange à nos esprits contemporains dans la querelle janséniste. Celle-ci a pourtant traversé la fin du règne de Louis XIII, celui de Louis XIV et celui de Louis XV avant de mourir dans l'indifférence au-delà même du règne malheureux du roi Louis XVI. Le jansénisme est assimilé dans le langage courant à un catholicisme rigoriste et doloriste. Ce fut davantage. Le jansénisme est né de la lecture de saint Augustin par l'évêque d'Ypres Cornélius Jansen. Il mûrit en France, sous Louis XIII, avec des personnalités comme l'abbé de Saint-Cyran, prêtre de l'oratoire, ou l'abbé Antoine Arnauld, fils d'une famille de parlementaires parisiens. C’est un mouvement spirituel en pointe dans l'esprit de restauration de la foi issu de la Réforme catholique.
Excessif dans sa rigueur, porteur de possibles déviances dans la vie spirituelle des fidèles, le mouvement est condamné par les papes durant le règne de Louis XIV. Le roi sait que de nombreuses familles de parlementaires parisiens opposées à son pouvoir et de l'aristocratie frondeuse, lui sont proches. Le point de convergence spirituelle du jansénisme, l'abbaye de Port-Royal, n'est-elle pas en la main de la puissante famille Arnauld, à l'ombrageux esprit de liberté ?
Le jansénisme condamné ne manque pas de soutiens nouveaux, jusque dans l'épiscopat. La bulle Unigenitus de 1713 s'attaque notamment aux propositions du père oratorien Pasquier Quesnel dans son Nouveau testament en français avec des Réflexions morales sur chaque verset. La bulle parvenue dans le royaume, pour s'appliquer à l’Église en France, est enregistrée par les parlements, cours de justice souveraines, et prend ainsi le titre de constitution. C’est chose faite avec difficultés. La mort de Louis XIV en septembre 1715 va cependant donner à la querelle un second souffle.
Le gallicanisme
Louis XV, âgé de cinq ans, ne gouverne pas. Son cousin, le régent Philippe d'Orléans, a sur la question janséniste une position tantôt ferme, tantôt conciliante, lui-même n'ayant pas d'avis tranché sur la question spirituelle. C’est que le jansénisme n'est pas seulement ecclésiastique. Il est aussi porté par les parlements qui, au nom du respect sourcilleux des libertés de l’Église de France, libertés dites gallicanes, se dressent en fait contre le pouvoir royal et le pouvoir pontifical. Mais après la mort du Régent, une figure nouvelle monte, celle du précepteur du jeune Louis XV, l'évêque de Fréjus, Hercule de Fleury. Celui-ci devient principal-ministre après le duc de Bourbon. Entre 1728 et 1730, Fleury s'emploie à éteindre la querelle par une attention particulière aux nominations épiscopales. Il soutient les évêques en lutte avec leur clergé janséniste, comme celui d'Orléans, opposé en procès devant le parlement de Paris à une huitaine de ses curés de paroisse, démis de leurs charges pour désobéissance.
Au-delà du combat spirituel se dessine bien aussi une lutte politique entre le pouvoir royal et les parlements. Si la loi de 1730 se fonde sur l'apaisement dans l'épiscopat, elle va cependant être suivie, jusqu'en 1733, par de nombreuses oppositions avec le parlement de Paris. Les magistrats font grève et bloquent l'exercice de la justice suprême dans le ressort fort étendu de leur juridiction (tout le cœur de la France). La soumission du parlement va permettre d'apaiser ce conflit au moins jusqu'à la mort de Fleury en 1743. Il reprendra de plus belle par la suite, avant d'être évincé dans les esprits par les combats des Lumières.
Naissance de l’opinion
Querelle politique, querelle religieuse, la lutte du jansénisme contre le pouvoir royal et pontifical est aussi marquée par la naissance, en France, d'une certaine forme d'opinion publique, nourrie en informations régulières par une publication clandestine janséniste, Les Nouvelles ecclésiastiques. Celle-ci paraîtra régulièrement de 1728 à 1803, entretenant, malgré la censure et la police, un climat de lutte spirituelle intense d'abord, puis déclinante, la question religieuse perdant son caractère central dans les débats. En ce sens, la querelle janséniste est aussi un bon témoin de l'évolution du christianisme dans le pays et des premiers signes visibles de la sécularisation.