La réponse de l’Iran ne s’est pas fait attendre. Dans la nuit du 7 au 8 janvier, quelques jours après l’annonce de la mort du général iranien Qassem Soleimani par une frappe américaine, l’Iran a frappé en Irak deux bases américaines. Une réponse symbolique plus que stratégique. « Il s’agit d’une vengeance mesurée », explique à Aleteia Bernard Hourcade, directeur de recherche émérite au CNRS et géographe spécialiste de l’Iran. L’Iran avait promis de venger la mort du général Soleimani, visé par une frappe américaine sur le sol irakien, « au bon endroit et au bon moment ». Dans la nuit du 7 au 8 janvier, l’Iran a envoyé plusieurs missiles sur deux sites irakiens où sont stationnés des forces américaines. Si les dégâts sont limités, « l’honneur de l’Iran est sauf », détaille à Aleteia Bernard Hourcade, directeur de recherche émérite au CNRS et géographe spécialiste de l’Iran. « Il s’agit d’une vengeance symbolique mais qui ne devrait pas provoquer une colère américaine ».
Aleteia : Après l’assassinat du général Soleimani la plus haute instance sécuritaire de l’Iran, le Conseil suprême de la sécurité nationale, avait promis de le venger « au bon endroit et au bon moment ». L’Iran a répondu dans la nuit du 7 au 8 janvier en bombardant deux bases américaines en Irak. Pouvait-on s’y attendre ?
Bernard Hourcade : Pour le gouvernement iranien il était nécessaire, et du point de vue politique et du point de vue émotionnel, de venger la mort du général Soleimani. Mais il s’agit d’une vengeance mesurée : les bases militaires ciblées, à Aïn Al-Assad c’est-à-dire en plein désert, et à Erbil, sont des cibles idéales car symboliques mais avec une faible probabilité de faire des victimes, et donc pas susceptibles de provoquer une colère américaine. Pour l’Iran, en agissant ainsi, l’honneur est sauf.
« L’Iran a pris et conclu des mesures proportionnées », a déclaré dans la foulée le ministre des Affaires étrangères iranien. Mais entre l’attaque de l’ambassade américaine à Bagdad par des militants pro-iraniens, l’assassinat du général Soleimani et les frappes iraniennes de bases américaines, peut-on craindre une escalade des violences sans précédent pour la suite ?
La mort du général Soleimani est indéniablement une nouvelle étape dans les relations diplomatiques dans la région. L’accord sur le nucléaire signé en 2015 permettait à l’Iran de se développer économiquement, de développer sa classe moyenne, sans bouleversement. Pacifiquement, l’Iran serait devenu une puissance régionale. Le retrait des États-Unis de cet accord en 2018 a conduit cette solution économique et pacifique à une impasse, laissant donc le champ libre à une solution militaire. L’assassinat du général Soleimani, qui est une erreur des États-Unis et les place dans une position de faiblesse selon moi, casse l’impasse dans laquelle se trouve l’Iran depuis 2018 et cela se fait aux dépens des Américains. Nous sommes aujourd’hui dans une situation de tension extrême. Mais c’était déjà le cas en 2012-2013, ce qui avait finalement abouti à la signature de l’accord sur le nucléaire iranien. De la même manière, cette situation va peut-être permettre aux différents pays de se mettre autour de la table et de discuter. Aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, les États-Unis sont une puissance importante pour la stabilité du Moyen-Orient. Mais le rapport de force change, en commettant cette faute (l’assassinat du général Soleimani, ndlr), les États-Unis sont contestés et l’Iran se place du « bon côté ». Comme la signature de l’accord sur le nucléaire iranien en 2015 avait permis de débloquer la situation, avec l’assassinat du général Soleimani un logiciel nouveau vient de se mettre en place. Il y aura peut-être encore des bombardements etc. Mais l’assassinat du général Soleimani montre qu’il faut passer aux choses sérieuses et trouver une solution ou de nombreux pays en paieront le prix.
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Comment ce conflit entre les États-Unis et l’Iran se traduit-il au Moyen-Orient ?
Le confit est régional. L’Irak est aujourd’hui un terrain de bataille comme l’a été la Syrie il y a quelques années. Il y a 40 ans, la République islamique d’Iran n’existait pas, les monarchies pétrolières (le Qatar, les Émirats arabes unis…) n’existaient pas, l’Égypte qui était une puissance importante ne l’est plus tandis que la Turquie en est devenue une. Il y a eu une recomposition des forces au Moyen-Orient et l’on a vu émerger des puissances indépendantes avec de fortes revendications nationalistes. Les États-Unis se sont appuyés sur l’Arabie saoudite pour faire face à l’émergence de l’Iran, jouant ainsi la carte saoudienne contre la carte iranienne. Mais depuis quelques temps, il existait des tractations entre l’Arabie saoudite et l’Iran, et le général Soleimani était un acteur. L’Iran et l’Arabie saoudite étant les deux gendarmes du golfe, ces tractations visaient à trouver un accord, ou en tout cas de lancer le début d’un processus.
Pourquoi avoir pris pour cible le général Qassem Soleimani, extrêmement populaire en Iran ?
L’attaque de l’ambassade américaine à Bagdad par des militants pro-iraniens a provoqué une vive émotion, renvoyant les États-Unis à l’attaque de leur ambassade en Iran en 1979, et à très certainement été l’élément déclencheur. Mais il faut bien comprendre qui était Qassem Soleimani. Ce général, le plus efficace du Moyen-Orient, était capable de contrôler des milices de Kaboul à Beyrouth. Il a mené une guerre sans merci contre l’État islamique, construisant des milices un peu partout dont en Irak. Il a bloqué l’avancée de l’EI à Erbil et n’a pas hésité à s’associer avec les pays membres de la collation (la France, le Royaume-Uni, les États-Unis). C’était un personnage clef, aux multiples facettes, proche du guide suprême iranien et capable de prendre des décisions stratégiques pour éviter à l’Iran de commettre des erreurs. C’est d’ailleurs lui qui a convaincu le gouvernement iranien de s’allier avec les États-Unis, « le diable », afin de lutter contre Daech. Il était incontestablement puissant pour aller de l’avant, pour contrôler la situation et pour s’imposer. Le fait de l’avoir assassiné est une faute politique liée à l’émotion américaine et qui n’est pas stratégiquement payante.
Outre l’émotion liée à l’attaque de leur ambassade, quel pourrait être le but réel recherché par les États-Unis en le tuant ?
Je pense que les États-Unis se rendent compte que l’émergence de l’Iran est une réalité. Une réalité d’autant plus forte qu’un rapprochement entre l’Arabie saoudite et l’Iran aurait abouti à une marginalisation des États-Unis dans la région. S’agissait-il d’une volonté d’encadrer le retour de l’Iran ? De retarder voire empêcher tout dialogue entre les deux gendarmes du Golfe ? Si l’Iran et l’Arabie saoudite sont capables d’assurer la sécurité des tankers dans le golfe Persique, qu’est-ce qui justifierait alors une présence américaine ? De la même manière que le général Soleimani a été capable de persuader les plus radicaux en Iran de s’allier aux États-Unis, il aurait certainement été capable de leur faire entendre la nécessité d’un rapprochement avec l’Arabie saoudite pour l’intérêt supérieur de l’Iran.
“Les États-Unis se rendent compte que l’émergence de l’Iran est une réalité.”
Juste après l’annonce de la mort du général Soleimani, Donald Trump a dans la foulée affirmé avoir réagi pour « arrêter » une guerre et non pour en démarrer une… Comment comprendre de tels propos ?
Depuis 2011 les États-Unis n’ont plus que 5.000 hommes en Irak. Leurs bases sont facilement encerclables et pourraient être prises pour cibles. Donald Trump a raison de dire que le général Soleimani aurait pu mener une attaque dans la mesure où c’est un militaire et cela fait partie de son travail que de préparer différents scénarios possibles. Il aurait certainement été capable de mener une attaque comme il aurait été capable de ne pas en mener. Avait-il un intérêt à le faire ? En tout cas, en décidant de tuer le général Soleimani pour supprimer un risque hypothétique, Donald Trump a déclenché quelque chose qui n’est pas contrôlable.
Qu’est-ce que cela change pour l’accord sur le nucléaire iranien ?
Les Iraniens ne respectent pas l’accord mais restent dedans. Ils ont par exemple maintenu le protocole selon lequel l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) peut envoyer à l’improviste des observateurs pour contrôler les installations iraniennes. Ils veulent rester dans l’accord d’autant plus que cela leur permet de dire que ce sont les États-Unis qui l’ont brisé, pas eux.
Au surlendemain de la frappe américaine ayant tué le général Soleimani, Emmanuel Macron a dit lors d’un entretien avec Donald Trump son “entière solidarité” avec ses alliés. Comment la France peut-elle encore jouer dans ce conflit ?
Emmanuel Macron a joué une politique courageuse. Après le retrait des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien, le Président a tenté de faire quelque chose. Mais il est resté aussi très proche des États-Unis. L’Iran n’a d’ailleurs pas compris et lui a reproché son silence. Malgré tout, sans condamner publiquement l’assassinat du général Soleimani, il a été le seul chef d’État occidental à téléphoner à Hassan Rohani. La France est le seul pays membre du conseil de sécurité de l’ONU avec lequel l’Iran est en contact. Malgré leur déception immense, les Iraniens comptent sur la France. Parce qu’elle a réussi à conserver un lien avec ce pays, la France a définitivement une carte à jouer.
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Ce regain de tension extrême est-il de nature à fragiliser encore un peu plus la situation des chrétiens d’Orient ?
C’est d’abord l’instabilité régionale qui, depuis plusieurs années, menace les chrétiens d’Orient et a contribué à leur disparition progressive du Moyen-Orient. Maintenant, concernant l’Iran, il faut bien avoir en tête que le pays est lui-même minoritaire au Moyen-Orient. Il ne s’agit pas d’un pays arabe mais de l’héritier de la civilisation perse. C’est aussi le seul pays du Moyen-Orient à avoir combattu contre l’EI. L’Iran soutient tout un archipel de minorités dans différents pays du Moyen-Orient. Des minorités qui le soutiennent en retour et dont il se sert comme moyen de déstabilisation. Après, en interne, les chrétiens, notamment ceux qui se sont convertis, sont victimes de persécutions sévères.
Propos recueillis par Agnès Pinard Legry