La communion des saints représente un formidable réservoir de grâces dans lequel l’Église nous encourage à piocher pour mener une vie plus ajustée au cœur de Dieu. N’hésitons pas à nous approprier les mérites de nos frères les saints : eux-mêmes se feront un plaisir de nous les offrir !
La solennité de la Toussaint est l’occasion de se pencher sur le mystère de la communion des saints. Les théologiens en fournissent plusieurs définitions. Soulignons aujourd’hui un aspect de ce mystère de la foi que nous résumerons par la formule-programme suivante, un brin provocatrice : s’approprier ce qui ne nous appartient pas ! Je devine déjà la surprise du lecteur. Comment ? La communion des saints s’apparenterait à un vaste système de larcins ? Une internationale du détournement du bien d’autrui ? Cette présentation d’un point cardinal du Credo a de quoi surprendre, voire scandaliser !
Un vaste réservoir de grâces à notre disposition
Pourtant, avec la communion des saints, il s’agit effectivement de faire nôtre ce qui appartient à un autre ! En effet, par le mystère de la réversibilité des mérites, qui fait partie intégrante de celui de la communion des saints, les mérites des élus sont « réversibles » et peuvent être imputés aux chrétiens moins avancés qu’eux dans la sainteté. Ainsi, j’ai le droit de prier tel ou tel saint (ou sainte) afin qu’il me donne sa foi, ou l’espérance dont il a témoigné durant sa vie terrestre, ou bien encore une autre qualité en sa possession (la chasteté, l’endurance dans les épreuves, la compassion envers les plus démunis, le courage du martyr, etc).
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Non seulement cette appropriation est possible, mais elle est même recommandée par notre Seigneur. Car cet échange des mérites, cette bourse aux vertus, fait grandir le Royaume de Dieu. Or, Jésus nous a avertis que le Royaume souffre violence (Mt 11, 12), c’est-à-dire qu’il ne faut pas hésiter à demander sa venue et à y entrer. Et une des solutions pour y parvenir consiste à faire nôtres les vertus et autres qualités de ceux qui sont déjà dans la Patrie céleste. Par exemple je peux demander à saint Vincent de Paul de me donner son élan à venir en aide aux plus pauvres, à Marie-Madeleine son attachement à la personne de Jésus, à saint François son charisme de paix et de louange, à sainte Thérèse de Lisieux son intelligence de la « petite voie », à tous les martyrs leur courage à confesser la foi.
Bien commun de toute l’Église
Si j’ai parlé de « vol », c’était par façon de parler. En effet, une telle démarche ne consiste pas, à proprement parler, à s’approprier indûment le bien d’autrui pour la bonne raison que la vertu d’un saint ne lui appartient plus. Elle est le bien commun de toute l’Église. Chacun peut en disposer. Encore faut-il le vouloir ! Écoutons à ce propos ce que dit le mystique alsacien Jean Tauleur (1300-1361) : « Si j’aime le bien qui est en mon prochain plus qu’il ne l’aime lui-même, ce bien est à moi plus qu’à lui. Si j’aime en saint Paul toutes les faveurs que Dieu lui a accordées, tout cela m’appartient au même titre qu’à lui. Par cette communion je puis être riche de tout le bien qui est au ciel et sur la terre, dans les anges, les saints et en tous ceux qui aiment Dieu. »
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Illustrons cette théorie par un autre exemple qui parlera aux lecteurs. Admettons que j’éprouve quelques difficultés à pardonner à N… le léger affront qu’il m’a fait. Comment vais-je m’y prendre pour dire, à la messe, la demande du Notre Père : « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés » ? Vais-je garder le silence ? Ou bien vais-je plutôt couler ma demande dans celle de toute l’assemblée, afin que mes frères chrétiens, rassemblés à l’église, me donnent leur grâce de pardon que je n’ai pas actuellement pour ma part ? Car le Notre Père ne dit pas : « Pardonne-moi mes offenses » mais « Pardonne-nous nos offenses » : dans la communion des saints, je peux toujours m’approprier une demande de l’assemblée, alors que je ne nourris pas encore en moi-même le désir de passer l’éponge et de pardonner ! Ce n’est pas là une défausse de ma part, mais simplement l’aveu d’une incomplétude à laquelle le trésor de l’Église, le trésor de mes frères et sœurs en Christ, remédie pour l’instant. Ce qui ne me dispensera pas toutefois de faire des efforts sur moi-même pour aller me réconcilier ultérieurement avec l’offenseur. Dans l’intervalle, je vis à crédit avec le bien du pardon des autres !
Une vaste chaîne de sainteté qui remonte jusqu’à Jésus-Christ
Allons plus loin : les mérites et les grâces des saints ne leur ont jamais véritablement appartenu en entier. Pour quelle raison ? Parce qu’en vertu de la même communion des saints, eux-mêmes en ont été redevables à un autre saint, qui lui-même a dû sa sainteté à un prédécesseur, et ainsi de suite jusqu’à Jésus-Christ. Par exemple Padre Pio doit son charisme à François d’Assise, qui lui-même doit peut-être le sien à un chrétien, ou une chrétienne, obscur(e), qui priait et vivait saintement au XIe siècle pour le renouveau de l’Église. Et où cette âme fervente et inconnue puisait-elle ses grâces, sinon dans le cœur du Christ ? Ainsi, en nous appropriant le bien des saints, ou des anges, ou de nos frères, nous ne faisons que puiser dans le trésor de Jésus ! Certes, la vertu de saint Paul est bien à lui. Mais l’apôtre ne manque jamais, dans ses lettres, de préciser que ce ne sont pas ses mérites qui l’ont fait devenir ce qu’il est, mais bien la foi en Jésus. Saül de Tarse est devenu saint Paul grâce aux vertus de Jésus !
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Jésus nous donne sa sainteté
Sommes-nous alors des voleurs en puisant à pleines mains dans les mérites du Fils de Dieu ? Nous le serions si Jésus avait voulu les garder pour lui ! Mais ce n’est pas pour cela que la seconde Personne de la Trinité s’est faite homme, mais au contraire afin que nous devenions comme lui. Jésus a voulu de toutes ses forces nous partager sa sainteté. Aussi sommes-nous en droit de faire nôtres ses belles qualités afin de devenir des saints à notre tour. La communion des saints consiste bien à nous approprier ce qui à l’origine ne nous appartenait pas !