Newman, un saint pour la France ? La question peut paraître incongrue tant le théologien anglais semble à tout jamais rivé à sa nation, ses mœurs, sa culture. L’en arracher de force n’aurait aucun sens. Pourtant, celui qui est canonisé ce dimanche 13 octobre — et à ce titre proposé comme modèle à l’ensemble des chrétiens — a aussi quelque chose à dire aux catholiques de France, et plus largement à la nation France.Newman est Anglais par toutes les fibres de son être. Anglais, et même plus précisément Oxonien. Car c’est bien à Oxford que se sont jouées les années les plus décisives de sa trajectoire théologique et spirituelle. Le mouvement d’Oxford, dont il est la figure de proue, est indissociablement lié aux traditions universitaires de Trinity College et Oriel College ainsi qu’aux prédications qui ont retenti sous les voûtes de l’église St Mary’s. En ces lieux, dans ce mouchoir de poche réduit à quelques rues, Newman a soulevé les montagnes de l’esprit et avancé à pas de géant sur la voie de la sainteté.
L’universalisme de l’enracinement
Un tel horizon pourrait néanmoins sembler bien étroit. D’ailleurs, l’œuvre du théologien comporte nombre d’angles morts ; les problèmes économiques et sociaux de son temps par exemple lui sont toujours restés quelque peu étrangers. Malgré cela, il est de ces hommes — rares — qui touchent à l’universel. L’acuité de son regard, la finesse de sa psychologie, l’étendue de ses connaissances lui ont permis de dépasser les limites inhérentes à tout lieu, toute époque, tout milieu. Et c’est bien le critère de l’universalité qui emportera sa décision d’entrer dans l’Église catholique romaine. Securus judicat orbis terrarum : ces paroles de saint Augustin allaient exercer sur lui une influence décisive ; seule l’Église universelle, répandue sur la terre entière, juge de manière sûre et définitive.
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Le théologien anglais nous rappelle ainsi que le véritable universalisme ne saurait se réduire à quelque cosmopolitisme bon teint, coupé de toute attache et naviguant à vue sur les eaux troubles d’une société liquide. Il est au contraire un universalisme de l’enracinement dans une culture et dans une tradition. Newman, docteur de l’Église universelle, bien qu’il n’en porte pas encore officiellement le titre, est un exemple abouti de cette rencontre si nécessaire entre la foi et la culture, la foi et une culture déterminée. La canonisation de ce maître spirituel so british ne manquera donc pas de nous renvoyer à notre propre situation, aujourd’hui en France.
Sécularisation à grande vitesse
Ces dernières années, nous avons beaucoup parlé du phénomène d’« exculturation du catholicisme » : la société française aurait largement chassé le catholicisme, comme un organisme rejette un corps étranger qu’il ne peut assimiler. Plusieurs événements et phénomènes récents invitent à relativiser sérieusement cette grille de lecture couramment admise. Que la France se sécularise à grande vitesse, que le tissu ecclésial soit en maints endroits d’une extrême fragilité, nul ne saurait le nier. Pourtant, l’émotion suscitée par l’incendie de Notre-Dame, l’engouement des Français pour leur patrimoine — en particulier leur patrimoine religieux —, le nombre de films et d’ouvrages traitant de sujets proprement chrétiens — qu’il suffise ici de citer La Prière de Cédric Kahn ou L’Apparition de Xavier Giannoli, deux films sortis en 2018 — sont autant de signes que le catholicisme demeure un élément à part entière de la culture française.
Renouer le fil de la culture et de la foi
Qu’on ne s’y trompe pas. Il ne s’agit nullement pour nous de crier victoire, encore moins de chercher à annexer des réalisations, des œuvres, des émotions collectives qui sont loin, très loin, d’être toutes inspirées par la foi. Il n’empêche. Le lien entre catholicisme et culture française demeure, il se pourrait même qu’il s’affermisse. Finalement, notre situation n’est pas si éloignée de celle de l’Église anglicane à l’époque du mouvement d’Oxford. Les cadres sont là, la religion comme élément culturel résiste. Il nous incombe maintenant de redonner souffle et vie à ces éléments grâce à la foi. À l’heure où nombre de catholiques, désabusés par les défaites dans les combats sociétaux, sont tentés par l’édification d’une contre-culture, à l’heure où d’autres se contenteraient volontiers de ce qu’Olivier Roy appelle « la religion sans culture », l’exemple lucide et serein de Newman résonne comme une invitation à renouer le fil entre la foi chrétienne et la culture française, cette sève tirée du fond des âges qui continue, au milieu des ronces, à produire tant de beaux fruits. Nul doute que l’une comme l’autre en sortiront grandies !