VISAGES DE MISSIONNAIRES (1/5) « Allez donc ! De toutes les nations faites des disciples », nous dit l’Évangile de Matthieu. Depuis 2.000 ans, l’Église a pour vocation d’annoncer l’Évangile. Asie, Amérique, Afrique, Europe… Chaque continent est terre de mission. Durant le mois d’août, Aleteia vous propose de découvrir différents visages de missionnaires, issus de communautés variées. Découvrez aujourd’hui le père François Hemelsdael qui vit auprès des Pnong dans le Mondolkiri, une région du Cambodge.En khmer, son nom signifie « Rencontre des collines ». Entre plateaux et collines, nous sommes dans le Mondolkiri, une province du Cambodge à la frontière du Vietnam. À perte de vue, des cascades naturelles, des vertes collines avec de doux arrondis, des forêts touffues. Ses vallons verdoyants lui valent le surnom de “Suisse du Cambodge”. Loin du pays de plaine, on cultive ici le riz de montagne — qui se caractérise par ses gros grains —, le manioc, le poivre, le café, l’hévéa (arbre à caoutchouc). Sous ce climat tropical dont le taux d’humidité est de 90%, les températures peuvent monter jusqu’à 40 ou 45 degrés. Dans ce pays aux 16 millions d’habitants majoritairement bouddhiste, on compte entre 20.000 et 30.000 catholiques. C’est ici que vit le père François Hemelsdael, 47 ans, originaire de Lille, prêtre des Missions Étrangères de Paris depuis 14 ans et missionnaire sur ces terres depuis 2007.
Après avoir habité quelques années à Kopong-Cham, le long du Mékong, il a débarqué dans cette région voici trois ans, au milieu des minorités ethniques. Il vit auprès des Pnong, que l’on appelle également les “Montagnards”. De tradition initialement animiste, ce peuple cultivateur, souvent victime de mépris, a souffert des persécutions menées par les Khmers rouges. “Le problème des Pnong, c’est qu’ils sont agriculteurs à 100%, mais le gouvernement a confié des concessions à des multinationales françaises et chinoises pour planter du caoutchouc et chercher des ressources naturelles, et elles s’approprient les terrains des Pnong. Or, ils ne savent pas se protéger et ils manquent de confiance en eux”, déplore le missionnaire. “À l’avenir, ils n’auront plus de terre. Il faut que les jeunes étudient”, avertit-il.
“Quand je parle pnong, je leur parle au cœur”
“Là-bas, je suis d’abord curé de paroisse”, poursuit-il. À sa charge, trois clochers, le plus haut étant situé à quelque 800 mètres d’altitude, mais également deux écoles maternelles, un foyer de jeunes collégiens et lycéens et des activités de soutien scolaire. Les villages dans lesquels il circule réunissent au total quelque 250 catholiques. Tour à tour chauffeur routier, animateur auprès des jeunes ou même croque-mort, le missionnaire se déplace tantôt à pied, tantôt à moto, quand ce n’est pas en voiture tout-terrain.
Sa mission ? Créer du lien avec ceux qui lui sont confiés, d’abord en échangeant avec eux… dans leur langue. “Quand je parle pnong, je leur parle au cœur. S’exprimer dans la langue maternelle, cela fait une grande différence”, confie-t-il à Aleteia, jovial. “Je fais beaucoup de visites aux gens, je vais voir les malades, je célèbre les enterrements et les mariages, je travaille parfois aux champs avec eux. C’est un bon moyen pour les connaître. Au temps des semailles, tout le village part aux champs”, explique-t-il. Ici, pour le travail de la terre, on utilise soit la charrue à bœufs, soit le motoculteur. On est loin de la mécanisation à l’occidentale. L’infatigable missionnaire s’occupe également de traduire en khmer des textes de l’Ancien Testament, des témoignages, des vies de saints, de Tim Guénard à Anne-Dauphine Julliand en passant par la vie de Damien Molokai.
Un peuple de tradition animiste
“L’animisme est une religion de peur, de crainte. Les gens ont peur des dieux, de ne pas faire les bons rites, de la mort. Le christianisme les libère de tout cela”, continue l’homme de Dieu. “D’ailleurs, ils comprennent très bien que le Christ est le sacrifice parfait, l’agneau pascal. Ils n’ont plus besoin de faire de sacrifice car Jésus a donné sa vie en offrande. Jésus qui chasse les démons, cela leur parle aussi”. Le christianisme les rejoint dans leur culture et leurs traditions.
Si l’évangélisation passe par les œuvres (comme les visites de malades), reconnaît-il, elle passe d’abord par les habitants qui s’évangélisent eux-mêmes. Le missionnaire raconte l’histoire de ce villageois qui avait perdu un doigt après avoir été mordu par un cochon sauvage. Resté en rémission chez un catholique vietnamien, il devait lui rembourser 5.000 dollars pour ses soins mais ce dernier ne lui en avait finalement demandé que 1.000. Il s’était ensuite converti, édifié par cette manière de vivre. “Mon objectif est de créer d’autres communautés. Ce qui touche les Cambodgiens, c’est de voir des Cambodgiens chrétiens. L’évangélisation passe par eux. L’idéal serait d’avoir un couple de chrétiens locaux qui irait s’établir dans l’un des villages”, confie-t-il. En effet, au-delà des trois églises au milieu desquelles il est habitué à circuler, il existe deux autres groupements de villages où il rêverait de voir naître des groupes de chrétiens. Pour l’instant, il s’y rend et commence à développer des relations d’amitié avec les habitants du coin.
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“La première raison pour laquelle les gens deviennent chrétiens, c’est parce que leur religion primitive leur demande des sacrifices de poulets et de vaches pour guérir d’une maladie ou pour avoir une bonne récolte et que c’est difficile d’un point de vue économique. Cela leur revient trop cher. La deuxième raison, c’est qu’ils savent que les chrétiens sont des gens bien et qu’en se convertissant, ils recevront une éducation humaine et spirituelle. Il y a aussi l’Église qui est pour eux comme une famille”. Ici, les conversions ne se font pas “à l’occidentale” car le cheminement spirituel n’est pas le même. La rencontre avec le Christ en tant que personne, si elle a lieu, vient plus tard, explique le missionnaire. Et quand on se convertit, c’est par famille entière. “En trois ans, 25 familles ont décidé de devenir chrétiennes”, se réjouit le prêtre.
Il a parfois connu des désappointements. “Dans la vie d’un missionnaire, il y a aussi des déceptions”, confesse-t-il. “Rien n’est acquis. On sème et il y a un seul grain qui donne beaucoup. Et parfois, il faut aller le chercher, ce grain”, lance-t-il en riant. Il reste marqué par le tempérament des Montagnards. “Ils n’ont pas d’a priori, ils boivent tout et sont très attachants”. Et il est impressionné par la place qui est laissée à la relation. “Le lien avec l’autre est très important”, souligne-t-il en se remémorant cette fois où, de passage à la gare Montparnasse, il a vu des personnes débarquer avec quelques minutes de retard qui suppliaient le chef de gare de les laisser monter dans un train encore à quai, en vain. “C’est absolument impensable chez nous. Ce qui est important, c’est l’autre”, s’exclame-t-il. “Ici, les gens abandonnent tout, ils perdent leur temps, mais ils accueillent l’autre. Cela me marque beaucoup”.
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