Adopté par l’Assemblée nationale, le texte encadrant la restauration de Notre-Dame est examiné à partir de lundi par le Sénat. Une belle bataille parlementaire en perspective. Le projet de loi “pour la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris” qui doit être examiné à partir de lundi par le Sénat, après son adoption en première lecture à l’Assemblée nationale, a déjà été largement amendé en commission. L’article 9 a ainsi été purement et simplement supprimé, la commission estimant être “convaincue qu’autoriser des dérogations aux règles en vigueur pour faciliter la restauration de Notre-Dame est inutile et se révélerait dangereux à la fois pour l’exemplarité de ce chantier et la crédibilité de notre législation”.
Une loi d’exception contestée
Le projet de loi est, en effet, loin de faire l’unanimité et inquiète les professionnels du patrimoine. Contactée par Aleteia, la présidente de la Commission de la Culture, de l’Éducation et de la Communication du Sénat, Catherine Morin-Desailly (UDI-UC) le confirme : “Nous ne sommes pas contre les dérogations. Elles sont d’ailleurs autorisées en cas d’urgence et ont été appliquées pour Notre-Dame. Nous n’avons pas attendu de lancer des appels d’offres auprès du marché public pour mettre la cathédrale en sécurité. Depuis le premier jour de l’incendie, de nombreuses entreprises du patrimoine sont à pied d’œuvre pour consolider Notre-Dame”, précise-t-elle. En effet, la Direction des affaires culturelles (DRAC) d’Ile-de-France a réquisitionné immédiatement des entreprises compétentes, notamment pour la dépose des vitraux, tout en chargeant un économiste de vérifier les tarifs proposés par les prestataires appelés. “Mais concernant la restauration à plus long terme, le ministère de la Culture ne dit pas clairement quelles seraient les dérogations possibles. Nous attendons qu’elles soient circonscrites mais cela n’a toujours pas été fait”, ajoute la sénatrice.
“Quelle image allons-nous donner aux propriétaires de monuments historiques qui ont pour obligation de se soumettre aux codes du patrimoine fixés par l’État ?”
Vincent Éblé (SOC), sénateur de la Seine-Maritime et président de la Commission des Finances du Sénat, confirme cette inquiétude, partagée selon lui par de nombreux sénateurs : “Quelle image allons-nous donner aux propriétaires de monuments historiques qui ont pour obligation de se soumettre aux codes du patrimoine fixés par l’État ? Prioriser la restauration de la cathédrale Notre-Dame et concentrer de nombreux efforts sur ce chantier, oui, mais inutile de déroger aux règles déjà existantes qui apportent des garanties et du sérieux. Ce n’est pas parce que l’on est face à un chantier exceptionnel que l’État doit s’écarter de ces règles. Cette loi d’exception m’apparaît excessive”, note-t-il.
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Face à la question du délai de cinq ans voulu par Emmanuel Macron, les sénateurs prônent l’humilité. “La vitesse est un faux problème”, insiste Catherine Morin-Desailly. “À l’heure actuelle, il s’agit de consolider la structure. Viendra ensuite l’heure du diagnostic précis. Quand celui-ci sera établi, le chantier de restauration pourra alors commencer et s’accélérer. En réalité, ce qui ralentit généralement les chantiers de restauration, c’est la question financière. L’élan de générosité dont a été l’objet Notre-Dame écarte le problème”.
La sénatrice rappelle également que Notre-Dame s’inscrit dans la tradition des grands chantiers de cathédrale : “Un chantier, cela se vit et cela se construit. Au Moyen Âge, les architectes et compagnons installaient leur chantier au pied des cathédrales et prenaient le temps qu’il fallait. Suivons cet exemple et profitons de ce drame pour nous réapproprier les savoir-faire français. Nous ne sommes que des passeurs, il ne faut donc pas se focaliser sur la durée. Déroger aux règles applicables pour aller plus vite est dangereux pour tous les chantiers de France. Nous avons une politique patrimoniale remarquable, qui s’est construite et affinée depuis Prosper Mérimée. Notre devoir est de la maintenir.”
Un avis partagé par Vincent Eblé qui évoque les règles exceptionnelles érigées par le code du patrimoine, qui font la fierté de la France partout dans le monde. Il ajoute également que la durée des travaux ne bloquera en rien l’ouverture de la cathédrale dans les années à venir : “Une fois la voûte consolidée, la réouverture pour le culte et les visiteurs est tout à fait envisageable et n’empêchera en rien la poursuite du chantier au niveau de la toiture et de la flèche”. Rappelons que Notre-Dame était déjà en travaux au moment de l’incendie pour une durée de dix ans.
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Au-delà de l’article 9, la Commission de la Culture a également jugé nécessaire d’inscrire dans la loi une référence aux engagements de la France vis-à-vis de ses obligations internationales en matière de patrimoine. “L’architecture de la cathédrale a participé au classement des “Rives de la Seine” au patrimoine mondial de l’Unesco en 1991”, rappelle Catherine Morin-Desailly. “On ne peut donc pas restaurer n’importe comment la cathédrale au risque de perdre les bénéfices de ce classement”, ajoute-t-elle.
Actuellement, la possibilité d’un consensus entre les sénateurs et les députés semble compliquée, notamment sur l’article 9. En cas de désaccord, sept élus de chacune des deux chambres seront réunis afin de valider — ou pas — l’adoption du projet de loi.