Inconnu en France où il passa pourtant son baccalauréat en 1969, le dominicain tchèque Tomas Tyn fut un théologien extrêmement brillant et prometteur, avant de mourir prématurément en offrant sa vie pour son pays. Alors que son procès de béatification a été ouvert en 2006, Aleteia a décidé de revenir sur sa vie à l’occasion de l’anniversaire de sa naissance, le 3 mai 1950.Il a été l’un des théologiens les mieux armés — intellectuellement et spirituellement — et les plus doués de sa génération. Le 3 mai 1950 naissait Tomas Tyn, qui mourra âgé d’à peine quarante ans le 1er janvier 1990, après avoir intérieurement offert sa vie pour la liberté religieuse de son pays à l’occasion de son ordination sacerdotale en 1975. Jeune dominicain tchèque, né à Brno il est passé par la France et l’Allemagne avant d’enseigner à Bologne de 1978 à 1989.
Un étudiant exceptionnel attiré par la vie dominicaine
De 1966 à juin 1969, Tomas Tyn fut lycéen à Dijon, jusqu’au baccalauréat, qu’il passa brillamment. D’une intelligence exceptionnelle, ses professeurs souhaitaient l’inciter à se présenter à l’École Normale supérieure, au titre d’élève étranger. Mais il avait découvert en France la vie dominicaine et, pressentant peut-être qu’il ne lui serait donné que peu d’années, ne voulut pas attendre avant de frapper à la porte d’un noviciat. Il entra dans l’Ordre en Allemagne où ses parents s’étaient réfugiés après la répression du « printemps de Prague ».
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Attiré ensuite par l’Italie au couvent de Bologne où se mettait en place, auprès du tombeau de Dominique, un noviciat international, le jeune religieux y resta et, à l’exception de quelques séjours à Rome pour la fin de ses études de théologie, y vécut une quinzaine d’années intense, d’abord comme frère étudiant, puis comme enseignant au studium dominicain. À l’instar de Thomas d’Aquin, dont il fut l’émule, il illustra à un degré rare le mot d’ordre des théologiens et des prédicateurs : « Contempler, et redonner aux autres ce qui a été reçu dans la contemplation » (contemplata aliis tradere), profitant, au-delà de sa fonction didactique, de toute sorte d’occasions, rencontres, prédications, cours du soir, sorties scoutes, groupes de fiancés, récollections, colloques etc. pour discuter avec autrui, pénétrer plus profondément dans le contenu de la foi et de l’Écriture et le mettre en lumière pour les autres.
Une grande fécondité intellectuelle
Le frère Tomas laisse un pavé philosophique posthume, qui devait être un travail d’habilitation, La Métaphysique de la substance (La metafisica della sostanza, Bologne, 1991, version augmentée en 2009, 1021 p.), quelques études publiées à portée théologique, philosophique ou morale, et surtout une quantité incalculable d’enseignements oraux, cours, conférences, méditations ou homélies, d’une extraordinaire clarté et profondeur, qui faisaient entrer comme tout naturellement les auditeurs, et désormais aussi les lecteurs, dans de multiples aspects du mystère divin : Dieu en lui-même, la création, le Christ, l’eucharistie, l’agir humain, l’intelligence de l’homme, la famille, la vie sociale, à côté de commentaires sur les principaux documents du concile Vatican II et sur certains passages de l’Écriture. Tout ce matériau foisonnant est déjà partiellement accessible en ligne, en italien, et une traduction française de quelques-uns de ces enseignements est en préparation1.
« Fanatique de l’équilibre »
Aspiré par la vérité de Dieu et des choses, Tomas Tyn se définissait lui-même comme « fanatique de l’équilibre ». Cette alliance de mots entendait, dans sa bouche, rendre justice à la passion exubérante, juvénile, débordante, qui l’habitait aussi bien qu’à son amour de la rationalité, de la sobriété de termes et de pensée, de la juste mesure dans l’adéquation à l’objet abordé. Cette polarité équilibrée se retrouve à travers d’autres tensions caractéristiques de la personnalité du dominicain, à la fois riche et unifiée autour d’un amour très pur de Dieu, du Christ dans son humanité et dans ses mystères. Ainsi, selon une alliance courante au Moyen Âge mais plus rare chez les modernes, il associe un vif amour des langues pour elles-mêmes dans leur singularité — le grec et l’hébreu en particulier — au goût non moins vif de l’abstraction, de la logique et des fondements métaphysiques de la réalité.
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Se trouvent encore réunies chez lui une conscience violente du mystère, proche de l’apophatisme (approche théologique consistant à définir Dieu par ce qu’Il n’est pas plutôt que par ce qu’Il est, ndlr), et une tendance presque bavarde à nommer les mêmes mystères, à en parler sous le mode le plus direct et le plus désarmant (à propos, par exemple, des dimensions du corps de Jésus comparées aux dimensions de l’hostie), à en repousser autant qu’il est possible les limites de non-intelligibilité. Tomas Tyn parle alors du « plaisir de penser », un plaisir qui transparaît à travers la respiration jubilatoire de sa parole et qui échappe, selon lui, à la presse des obligations journalières, mais qui est « l’œuvre d’une vie », et qui consiste à reprendre chaque jour les mêmes interrogations pour tenter de pénétrer plus profond dans la compréhension de ce qui semble se refuser à l’intelligence.
Un austère heureux
Cette vie fut donc courte et intense, généreusement donnée. Il mourut dans la nuit qui suivit le Te Deum célébré dans sa cathédrale par l’archevêque de Prague pour rendre grâces de la liberté recouvrée. Son procès en béatification a été ouvert à Bologne en 2006, mais il connaissait déjà la béatitude de son vivant car, comme le disait une Bolognaise, « cet homme si actif, si supérieurement intelligent, qui aurait été une personnalité dans n’importe quelle situation, menait une vie austère, dépourvue de plaisirs, et il était heureux ». Et elle concluait : « Tomas Tyn est l’homme le plus intimement heureux que j’aie connu. »
Prière pour la béatification du Fr. Tomas Tyn :
« Père saint, riche en miséricorde, Toi qui as envoyé ton Verbe dans le monde pour le conduire dès ténèbres à la lumière, nous Te remercions pour les dons de ton Esprit que Tu as prodigués à ton Serviteur le frère Tomas Tyn. Daigne l’élever aux honneurs des autels, afin que le témoignage et l’exemple qu’il nous a donnés comme digne fils de saint Dominique et de la Bienheureuse Vierge Marie, puissent, pour beaucoup, être une incitation à rechercher la vérité et à demeurer dans la fidélité au Christ ; par son intercession, accorde-nous la grâce que nous Te demandons. »
[1] Il s’agit principalement de textes transcrits d’enregistrements magnétiques, ou parfois notes préparatoires de Tomas Tyn : voir le site associatif http://www.arpato.org/bibliografia.htm, et celui plus officiel : http://www.studiodomenicano.com/bibliografia.htm. Est prévu en français un recueil de ses textes traduits, sous le titre Tomas Tyn ou l’ivresse de la mesure, Homélies, méditations, conférences, Paris (Cerf).