Arte diffuse actuellement chaque jeudi, à 20h55, la première saison de la série danoise « Au nom du Père ». Pourquoi faut-il la regarder ? Acclamé par la critique française et internationale, “Au nom du Père” sort du lot des séries télévisées. Les fictions sur le thème des religions et la foi sont suffisamment rares. Et celles qui sont réussies encore plus. “Au nom du Père” relève le défi de porter vers le grand public les questions subtiles concernant la foi vécue dans la société moderne luthérienne. Son créateur danois, Adam Price, réalisateur de la superbe série Borgen où il trace le portrait d’une femme en pleine ascension politique au prix de l’éclatement de sa vie familiale, décline les dix commandements en dix épisodes. Selon Adam Price, l’axe principal de sa série est la ligne masculine de la famille : d’un côté, nous suivons le sillon du père-fils, d’autre part, c’est celui du frère-frère.
Nous sommes à Copenhague et nous entrons dans la maison du pasteur Johannes Krogh qui perpétue la tradition ecclésiastique familiale depuis 250 ans. C’est une famille presque ordinaire, dont la vie bascule du jour au lendemain quand le pasteur fait face à la politique qui brusque sa vision de l’exercice de la foi.
Les dix épisodes se prêtent comme une relecture du Petit Catéchèse de Luther, l’un des textes fondateurs du luthéranisme, qui s’ouvre avec les dix commandements. Luther précise que les commandements sont « tels qu’un chef de famille doit les enseigner aux siens en toute simplicité. » Johannes, pasteur et père de famille, est incarné par Lars Mikkelsen, acteur star des séries télévisées (The Killing, Sherlock, House of Cards, The Team).
Adam Price a beaucoup misé sur l’élaboration psychologique de ce personnage à facettes multiples. Johannes représente la tradition conservatrice du luthéranisme : sceptique au dialogue interreligieux, à la montée en puissance des femmes pasteurs, il rêve d’un Dieu qui châtie les pêcheurs. Avec Johannes nous sommes loin du curé d’Ambricourt de Robert Bresson (Le journal du curé, 1951), dont la voix intérieure en écho lointain à la tradition augustinienne des Confessions, est en dialogue permanent avec sa foi mise à rude épreuve par les villageois qui ont perdu la leur depuis longtemps.
La foi personnelle dans la société protestante est une affaire intime : elle ne se confesse pas publiquement. Il est impoli de demander à quelqu’un s’il croit en Dieu. Dans la série, cette foi s’éprouve dans les conditions les plus extrêmes : le fils de Johannes, August, jeune pasteur populaire, part à la guerre où il tue une femme civile innocente. Le problème du mal se pose alors : le mal qu’on commet pendant la guerre ne désigne-t-il pas tout simplement cette dernière comme son origine, qui force les soldats à trahir leur propre foi et les condamner aux souffrances les plus terribles de l’âme ? Pendant les trois premiers épisodes, les problèmes moraux sont posés.
Adam Price s’approche davantage du Décalogue (1988) de Krzysztof Kieśliowski, réalisateur catholique polonais, que de son illustre prédécesseur suédois Ingmar Bergmann, connu tout particulièrement pour son « Fanny et Alexandre» (1982), où il dresse le portrait d’un pasteur impitoyable et destructeur. Kieśliowski a réussi à entraîner le spectateur dans le vortex des émotions et l’oblige à poser chaque commandement personnellement, dans l’intimité de l’âme. Price sera-t-il capable d’en faire autant ?
La foi la plus solide se révèle dans la faiblesse extrême de l’être humain, le prêtre y compris. Johannes serait-il capable de plier son orgueil, sa colère, ses ambitions, ses faiblesses pour enfin être au service divin et considérer l’église, dans laquelle il communie, pas comme « son église », mais comme celle de tous les croyants ?
L’esthétique est indéniablement le point fort de cette série et c’est là-dessus que s’appuie sa dimension spirituelle. La consécration de l’évêque dans la cathédrale de Copenhague, sous le regard de la magnifique statue du Christ réalisée par Bertel Thorvaldsen, est l’un des plus beaux moments qui nous laisse ressentir la beauté qui s’exprime par le sacré (2e épisode). On peut nier sa foi en Dieu, mais il est difficile de rejeter le besoin de spirituel en tant que personne humaine, en témoignent les failles et les points forts de la série « Au nom du Père ».
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